Il est venu présenter son fameux documentaire autobiographique «Le marin des montagnes» projeté au festival de Cannes en 2021. Sa présence aux 18émes Rencontres cinématographiques de Béjaïa, clôturées jeudi dernier, était un véritable et bel événement. Affable et généreux, le réalisateur revient dans cet entreten sur le processus qui l'a amené à fabriquer son film, non sans évoquer son passé étroit avec l'histoire de l'Algérie, qui est bien mise en exergue dans ce très beau bijou cinématographique.... L'Expression: Nous sommes en Algérie, plus précisément à Béjaïa. Vous faites le voyage du retour pour projeter votre film documentaire «Le marin des montagnes». Qu'est-ce que cela vous fait d'abord de revenir à Béjaïa, en Kabylie, dans le cadre des RCB, cette ville côtière en même temp? Karim Aïnouz: C'est un festival dont j'ai beaucoup entendu parler dans les années comme un festival très démocratique, très ouvert, un festival qui a une ambiance vraiment très intime et où on aime le cinéma. Ce n'est pas un festival de tapis rouge, bling bling etc. Pour moi, les Rencontres cinématographiques de Béjaïa est une référence pour le cinéma algérien. J'étais très content que le film soit invité à passer ici, parce que c'est la première fois qu'il passe en Algérie, depuis sa confection. il a commencé sa vie en 2021. Je suis très content que le film puisse naître ici. C'est quand même la Kabylie, la mer, c'est un festival où il y a beaucoup de jeunes, un festival où il y a une espèce de soif de cinéma et ça me fait plaisir, c'est vraiment un espace d'échange. Vous avez tardé à revenir en Algérie seul, pour vous réconcilier avec la terre natale de votre père, peut-on dire que le cinéma a réellement joué son rôle de catharsis? Oui je crois que d'un côté il a joué ce rôle- la. Je trouve aussi qu'il m'a permis de me plonger dans un univers, dans un monde, dans un pays et un peuple que je ne connaissais pas. Plus qu'une catharsis, je pense que le cinéma m'a permis de vraiment arriver dans ce pays, pour connaître son histoire, le cinéma a détruit un mur qu'il a fait sauter et m'a permis de me pr&senterr en tant qu'Algérien. Le cinéma m'a catalysé, ma relation avec ce pays et avec tout ce que j'avais fantasmé sur l'Algérien, rêvé sur l'Algérie, car c'était une espèce de pays rêvé. Et je crois que le cinéma a rendu ce rêve possible. Vous êtes venu pour faire des repérages et vous vous retrouvez à réaliser le film. Aujourd'hui, vous revenez pour le projeter, comptez-vous revenir à nouveau, mais juste en tant que citoyen algérien? Quelle bonne question! c'est une très bonne question, car je sens que je vis une vraie dis que le film m'a permis de rattraper le temps, je suis là, je rencontre des gens, j'échange, mais cette question est géniale car j'ai vraiment envie de revenir ici sans un but, pour passer un peu de temps, de découvrir, sans une caméra, de voir les gens, non pas à travers une caméra, mais à travers mes yeux, d'écouter les gens avec mes oreilles et ca, il faut que je le fasse bientôt. C'est drôle parce que, quand je suis venu ici à Béjaïa, j y 'ai passé trois jours après je me suis perdu dans le pays. Je crois qu'il ya une autre étape qu'il faut que je fasse qui est la découverte de l'Algérie, des copains algériens et des copines algériennes sans un but concret, pour vraiment avoir une expérience dans ce pays....mais pas pour prendre quelque chose du pays. Quand on a un décès dans la famille, d'un proche, on a envie de rencontrer ses cousins, ses oncles, ses tantes etc. vous-même, êtes-vous toujours en contact avec votre grand oncle? Avez-vous gardé le lien? Non. Mais c'est une trés bonne question. Je vais reprendre le contact. Je vais passer le film là-bas, vous savez, c'est vraiment une situation ambigüe parce que, à part Inès, le lien n'a pas beaucoup fonctionné. Inès qui est dans le film est une cousine à moi, je l'adore c'est quelque chose de magique ce qui s'est passé entre nous, j'ai vraiment une admiration pour cette fille, je crois que àa va être une grande femme, mais à part Inès, même si la rencontre était trés généreuse de la part de la famille, on n' a pas une histoire à partager. Je crois que c'est une espèce de flash, comme ça, qui m'a beaucoup fait du bien. J'ai envie de rentrer au village, de rencontrer les gens encore mais on n'a pas gardé le contact parce que je trouve que c'est superficiel. On n'a pas une histoire vécue ensemble. Le film se base d'abord sur la voix off, la lettre écrite à votre mère décédée et les images qui sont venues après, accolées au texte... Je montais le film d'abord sans texte, avec les images du voyage. La structure initiale du film était une espèce de documentaire de voyage classique. je passe de Marseille, à Alger, sans voix off. C'était le parcours du voyage qui était la ligne rouge du film, Marseille, Alger, les quartiers d'Alger puis d'Alger, la route, à la Kabylie, le village et le retour à Alger et enfin, le départ. Mais, en fait, je me suis rendu compte que ce n'était pas assez, àa ne racontait pas ce que j'avais ressenti. Ça ne partageait pas la sensation, toutes les sensations que j'avais pendant le voyage et c'est à partir de là que la lettre s'est présentée comme une possibilité. Ce qu'on a fait est qu'on a remonté le film à partir de la lettre, on a réécrit la lette à partir du montage. Il fallait que les images trouvent leur place dans la lettre. Ce n'était pas des images filmées pour la lettre et ce n'était pas une lettre écrite pour les images. L'aspect visuel est d'un point de vue esthétique très beau. Le côté plastique prédomine. J'ai retrouvé du Terrence Malick dans la notion du retour aux racines et puis à une référence à Jean- Louis Godard dans le langage cinématographique, était-ce voulu de votre part au départ? Ces couleurs, ce polychromatisme? C'était voulu oui. Les films de voyages, sont toujours hauts en couleur, ce sont des rencontres qui sont toujours exceptionnelles. C'était clair que le film ne devait pas être très réaliste, un film qui capte l'émotion. Pour les références cinéma, je suis plus proche d'une tradition qui commence dans les années 1960 avec les 16 millimètres et les journaux intimes filmés. Cette tradition, je crois qu'il y a beaucoup de femmes qui ont travaillé avec dans cet espace-là et quelques hommes. C'était plutôt cette tradition qui m'intéressais mais aussi les films de voyages et de découverte. Le documentaire de voyages est un acte tres colonial depuis le début du cinéma. C'était le colonisateur qui faisait des films sur la colonie. Pour moi, ça m'a semblé très intéressant de faire le contraire. Que cela soit un film de voyage autant que cela soit un film de découverte et pas un film d'exploitation de l'endroit où je vais. Mais la liberté formelle était toujours là, parce que, comme je l'ai dit précédemment, c'était une espèce de voyage rêvé. Littéralement, c'était un rêve de faire ce voyage. J'étais confronté à des situations très nouvelles pour moi. Il fallait cerner cela de façon à ce que cela soit juste. Comment c'était la rencontre avec les gens que vous avez filmés? Il y a beaucoup qui ont refusé de se faire filmer. Ceux qui nous ont laissé les filmer, ce sont ceux qui nous ont fait confiance. Il y avait pas mal de personnes qui n'ont pas voulu, mais qui ont accepté de le faire après. C'était toujours une négociation. Ce n'était jamais gagné. Mais quand c'est gagné, c'est gagné. Tout était la. La photo a un rôle primordial dans le processus filmique. C'est parti des photos souvenirs de votre vie, notamment autour de votre enfance puis vous avez décidé de poursuivre ce procédé dans votre processus narratif... En partie c'était ça. Il y savait dans les photos, l'histoire de mes parents, leur rencontre, la guerre... Les photos étaient toujours là. Quand je voyage, je prends beaucoup de photos. Mais quand je prenais ces photos, je ne savais pas encore si j'avais un film. En rentant au pays, je filmais, mais je ne savais pas si j'avais un film. Je n'étais pas sûr que le film soit né. Parce qu'un voyage, ça ne donne nécessairement pas un film. Une histoire d'amour ca ne donne pas nécessairement un film. Les photos étaient une façon un peu plus vive de capturer ce que je voyais en face de moi. Capturer l'instant. Je trouve que les photos sont des éléments classiques. Dans un voyage on prend forcément des photos. Je trouvais que c'était assez naturel de le faire. Je trouve, aussi, que les photos, c'est moins intrusif que la caméra cinéma. L'histoire de vos parents est tellement épique et romanesque, du Brésil et l'Algérie, une rencontre qui se fait aux Etats-Unis. Vous-mêmes quel regard portez vous sur cette histoire qui a uni vos parents? Je trouve que cette histoire est un témoin d'un moment dans l'histoire du monde. Mon père venait d'un pays qui était en train de s'émanciper, ma mère était une scientifique à l'époque, c'était très rare à l'époque que des femmes fassent de la science. Que ces deux jeunes genslà, puissent se rencontrer et tomber amoureux et puis s'imaginer une vie ensemble, ce n'est pas fortuit. Ça n'arrive pas tous les jours. Aujourd'hui, il y a l'Internet, on rencontre des gens... mais avant l'Internet, la rencontre des cultures, des gens comme ça était rare, cela correspond à un moment très spécial dans le monde. Je trouve que le fait qu'ils se soient rencontrés aux Etats- Unis cela veut dre beaucoup de choses. C'est un pays du futur, c'est le nouveau monde, même si après, ils sont revenus dans leur vieux monde...cça a quelque chose de très beau et de très intéressant à la fois, car ça raconte cette période précise dans le monde, de cette époque: Ma mère qui sort d'un pays qui est en ébullition, qui rentre dans une dictature militaire et mon père qui est venu pour construire son pays, je crois qu'il y a plein de choses bouleversantes qui sont racontées à travers l'histoire de ces deux personnes. Quelle fonction enfin, recouvre pour vous le cinéma? Le cinéma est un métier politique non pas artistique. Je crois que la raison pour laquelle je me suis dirigé vers le cinéma, c'est parce que dans mes années de jeunesse, j'ai vu des films qui ont changé ma vie....Le cinéma a une force telle, que l'on peut s'imaginer un autre monde. Et ca me donne de la force pour résister dans le monde de maintenant. Le cinéma c'est un art politique. Il n y a rien plus de politique que le cinéma américain. Le cinéma a un pouvoir de dévoilement, une magie.. C'est ça qui m'a fait faire du cinéma. Parce que je pensais que c'était un espace pour raconter des histoires de personnages qui ne sont pas racontées dans l'histoire officielle, mais d'une certaine manière sans les connaître, découvrir leur intimité. Cet acte politique, c'est ce qui importait pour moi, plus que l'histoire de mes parents. C'était plutôt la volonté de faire quelque chose qui puisse changer le monde, basculer les choses, nous révéler ou dévoiler des réalités que l'on ne connaît pas, qui puisse casser les murs. Au cinéma, parfois on rentre dans des univers que l'on ne rencontre pas dans la vie réelle. Abolir les frontières, c'est ca que je trouve beau au cinéma...