Il est auteur et éditeur. Et il peine à gagner sa vie, parce que ni le métier d'écrivain, ni celui d'éditeur ne sont un moyen d'existence satisfaisant. On crève de faim en écrivant et en éditant, car l'Etat ne vient pas toujours en aide à cette catégorie socioprofessionnelle. Quoi donc d'étonnant à ce que certains éditeurs menacent de mettre la clé sous le paillasson? Et que d'autres écrivains songent à se convertir au journalisme ou à faire tout autre chose. Ils sont pourtant talentueux et, mieux aidés dans leur ingrate tâche, ils auraient rendu de grands services au pays. On ne le répètera jamais assez, mais la bataille pour une Algérie moderne et prospère pourrait passer par d'autres voies, celles des idées et de la communication. Une Algérie forte, c'est d'abord une Algérie forte par ses intellectuels et ses hommes de lettres. Ils constituent l'élite qui décide de l'avenir d'un pays. L'homme que nous rencontrons à la maison d'édtion Assirem, non loin de Sonelgaz est un ami. Il est le propriétaire de cette imprimerie. Beaucoup de romanciers et de poètes, en arabe, en tamazigh et en français se sont fait éditer chez lui. À compte d'auteurs, pour nombre d'ente eux, naturellement. Mais tant que le Haut Comité à l'amaziguité disposait d'assez de fonds, des maisons d'édition comme Assirem qui s'identifiaient à cette cause tenaient le coup. Des occasions en or ont été offertes par le Salon international du livre d'Alger ou par le Salon du livre et du multimédia amazigh. Ce fut surtout à cette mamelle qu'éditeurs et auteurs se sont longtemps abreuvés. Les livres amazighs s'éditaient et se vendaient alors comme de petits pains et cela faisait les affaires de tous. Et puis ce rendez-vous culturel s'étant éclipsé du paysage culturel et médiatique pour on ne sait quelle raison, les temps sont devenus difficiles pour tout le monde. Le vide laissé par cette disparition est immense. Il n'était pas que culturel. C'était comme un grand monument qui, trop vite élevé, dans le paysage littéraire, s'était tout à coup effondré. Editeurs et auteurs, effondrés eux-mêmes, contemplaient ce désastre avec le sentiment que quelque chose de précieux et d'irremplaçable venait de se disloquer, de tomber en poussière. Abd El Malek Hamanache, cet ami du livre amazigh, est de ceux-là qui ont vu dans cette chute la fin d'un rêve grandiose, d'une aventure, d'une épopée où la langue et l'espoir portés par toute une région s'arrêtait soudain. Il y a plusieurs mois qu'il annonçait la fermeture d' Assirem. Les charges devenaient trop lourdes. Et les affaires allaient de plus en plus mal. Et puis, n'est-ce pas, le découragement n'a jamais été que passager chez cet homme dont la vie n'a été qu'un combat. Combat contre la maladie de sa femme et qui devait lui inspirer un roman déchirant Karima. Combat contre les traditions et leur poids si pesant, contre les tabous qui gangrènent selon lui notre société. Ce combat a lui aussi donné naissance à un roman. Le premier du genre. «Iguenwal» raconte, en effet, la vie d'un jeune vivant à la campagne et qui s'éprend de sa cousine, une fille d'émigré qui vient passer l'été chez eux. Mais le fossé qui sépare deux mondes si différents a triomphé de cet amour à sens unique. Plus tard, quand le fossé s'est comblé et que les deux héros ont fini par se rejoindre, il était trop tard. Lui était devenu père de famille et elle était revenue de bien des choses. Le premier roman, sorti en 2015, dresse en toile de fond un réquisitoire sévère contre la société. Le second voit le jour trois ans plus tard et, abstraction faite de la trame romanesque qui sous-tend le récit de bout en bout, se veut un dernier hommage à celle qui a partagé les plus belles années de l'auteur et de l'éditeur en lutte pour s'affirmer dans un monde qui ne reconnaît que les forts. Quand nous l'avons revu il y a quelques jours, il n'a plus évoqué la fermeture de sa maison d'édition. Nous pensons que le courage a repris définitivement le dessus sur ce moment de doute et de flottement. Auteur aussi d'un dictionnaire en tamazigh sorti en 2013 et sans cesse revu et corrigé, le romancier et l'éditeur doivent se dire que les beaux jours reviendront. Il suffit juste d'avoir foi en l'avenir.