«Le Maroc peut-il perdre le Sahara?», cette interrogation, lourde de sens, est aujourd'hui d'actualité au Maroc. Après trente ans de statu quo, le Maroc est rattrapé par le dossier du Sahara occidental et la légalité internationale qu'il a de tout temps tenté de contourner. La politique de la fuite en avant, suivie jusque-là par la monarchie, n'aura servi à rien. L'ONU ne suit plus les thèses marocaines soutenues par la France et l'Espagne, ancien colonisateur des terres sahraouies. La commission de décolonisation de l'Assemblée générale des Nations unies a adopté, vendredi dernier, une résolution réaffirmant le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Un message fort à l'adresse du Maroc et des deux acteurs européens qui encouragent la démarche du roi Mohammed VI et de son prédécesseur Hassan II. Si les Américains ont depuis longtemps mis un bémol à leur coopération politique dans le sens souhaité par le palais royal, il n'en est pas de même pour la France, amie du roi, et de l'Espagne qui se soucient plus de la sauvegarde de leurs intérêts dans la région du Maghreb au détriment de la légalité internationale. Un soutien que le président de la République sahraouie a récemment dénoncé, dans une émission de la Radio nationale algérienne. En effet, le président accuse les deux pays d'être les responsables de l'entêtement du Maroc à ne pas satisfaire aux différentes sollicitations des Nations unies pour un règlement équitable de ce dossier, en fermant les yeux sur les velléités marocaines d'empêcher les membres de la commission ad hoc du Parlement européen d'entrer dans les territoires sahraouis occupés pour enquêter sur les dépassements signalés par la partie sahraouie. La position affichée par la commission de décolonisation de l'Assemblée générale des Nations unies marque un virage important dans la politique adoptée par l'organisation onusienne. D'après le président Mohamed Abdelaziz, elle est appelée à mettre à l'épreuve sa crédibilité à travers l'application ou non du processus d'autodétermination du peuple sahraoui. L'Algérie a, de son côté, affirmé que «cette résolution constitue un nouveau témoignage, un de plus, de la rectitude de la position de la communauté internationale à l'égard du parachèvement de la décolonisation du Sahara occidental». L'onde de choc a atteint la presse chérifienne qui commence à s'interroger, comme le fait l'hebdomadaire Maroc Hebdo dans sa dernière livraison, sous le titre très révélateur «Le Maroc peut-il perdre le Sahara?». Une interrogation lourde de sens et jamais envisagée jusque-là. L'hebdomadaire y ajoute le commentaire suivant: «Imaginons un seul instant une telle éventualité. Un séisme régional. Un embrasement général». A vrai dire, les Marocains ont trop investi dans le dossier du Sahara occidental et, psychologiquement, il est difficile de se désavouer trente ans après la fameuse «marche verte». Il y va, peut-être, de l'avenir politique de la royauté en butte à des tensions multiformes issues de l'influence grandissante du courant islamiste et des conséquences de la politique «mains propres» adoptée par le gouvernement marocain à l'égard des trafiquants de tout bord, allant de la drogue qui ronge la société marocaine à la corruption. Des événements qui ont secoué, de façon brusque, la société marocaine. Cette résolution revêt, de l'avis de la diplomatie algérienne, «le triple mérite de réaffirmer le droit naturel du peuple du Sahara occidental à l'autodétermination, de réitérer la validité du plan de règlement accepté depuis 1991 par le Maroc et le Front Polisario et approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies, et de souligner le soutien de la communauté internationale recueilli par le plan Baker que le Conseil de sécurité a unanimement entériné en tant que solution politique optimale du conflit du Sahara occidental». L'Algérie voit, aussi, dans l'adoption de cette résolution «un sursaut bienvenu de la conscience collective des Nations unies», qui vient dans «le prolongement du rapport accablant que le Haut commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme a établi sur les pratiques marocaines dans le territoire sahraoui occupé». Le rapport élaboré par cet autre organe des Nations unies avait noté que «la situation des droits de l'homme est préoccupante, particulièrement dans la partie du Sahara occidental sous administration marocaine», et recommandé que «le droit à l'autodétermination pour le peuple du Sahara occidental, soit assuré et mis en oeuvre sans attendre...». Cette nouvelle offensive onusienne qui arrive en fin de mandat de Kofi Annan replace le dossier du Sahara occidental dans son cadre naturel de politique de décolonisation. C'est ce qui fait dire au ministre des Affaires étrangères de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd), Mohamed Salem Ould Salek, que «cette victoire diplomatique de la cause sahraouie confirme que le Maroc navigue à contre-courant de l'histoire et de la légalité internationale».