Alors qu'ils ont légiféré sur des faits qui concernent deux peuples, arménien et turc, les Français tournent obstinément le dos à leur histoire. Aujourd'hui à 18 heures, plusieurs associations et partis de gauche commémoreront sur le pont Saint-Michel le massacre des Algériens perpétré sous les ordres de Maurice Papon, le 17 octobre 1961. Ce crime contre une manifestation pacifique n'a pas encore été reconnu par l'Etat français, en dépit des plaintes déposées par des associations ou des proches des victimes de cette répression. En 1998, l'une de ces plaintes avait été jugée irrecevable par la justice française qui refusait de qualifier les événements de crimes de guerre. Ce n'est qu'en 2001 qu'une plaque commémorative a pu enfin être posée sur le pont Saint-Michel, au grand dam, d'ailleurs, de plusieurs parties. L'appel signé par des associations, le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, la ligue communiste révolutionnaire, la ligue des droits de l'Homme, le Mrap et bien d'autres organisations exigent «la reconnaissance officielle du crime commis par l'Etat français les 17 et 18 octobre 1961, la liberté d'accès effective aux archives pour tous les historiens et citoyens et un lieu de mémoire en souvenir des victimes du colonialisme». Toutefois, la cérémonie de ce jour diffère quelque peu de celles des années précédentes par le contexte politique actuel. La loi adoptée à l'Assemblée nationale sur le génocide arménien met les politiques, notamment les socialistes à l'origine de cette drôle de loi, dans une situation nouvelle face aux crimes commis contre les Algériens. Alors qu'ils ont légiféré sur des faits qui concernent deux peuples, arménien et turc, les responsables français tournent obstinément le dos à leur propre histoire et pratiquent un négationnisme qu'ils dénoncent avec tant de zèle pour des faits appartenant à d'autres histoires nationales. Il est vrai que le président Chirac a promis au Premier ministre turc «d'empêcher ce texte de devenir loi», mais il dit également que «tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs». Pourtant, dès qu'il s'agit de l'Algérie, l'Etat français semble avancer à reculons. Ce qui s'est passé le 17 octobre sous les yeux des Parisiens, dont certains se souviennent encore de ces corps jetés dans la Seine, de l'asphalte rouge du sang des hommes battus à mort et des rafles d'immigrés algériens, n'a pas encore de reconnaissance officielle. Maurice Papon a été jugé mais pour sa collaboration avec l'occupant allemand, pas pour ces actes ordonnés alors en sa qualité de préfet de police. Aujourd'hui encore, le nombre de victimes, 10.000 arrestations et des centaines de morts selon des historiens, est contesté. Certains continuent de nier que cette manifestation, à l'appel de la Fédération FLN de France, avait pour objectif de protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens et contre les humiliations quotidiennes qu'ils subissaient sur cette terre dite des droits de l'homme. Ce soir, beaucoup de vieux immigrés se souviendront de ce jour car leurs cicatrices leur font encore mal. L'amnésie officielle, elle, persiste et ce n'est certainement pas de cette façon que la France réussira à établir ce partenariat d'exception auquel a été invité le président Bouteflika, samedi dernier.