M.Peter Mulrean, directeur du bureau régional de Mepi à Tunis, évoque dans cet entretien, les missions de son organisme et ses rapports avec l'Algérie. Le diplomate américain parle du soutien aux réformes économiques, politiques, à l'éducation, à la femme et à la presse dans son ensemble. Satisfait des avances de son programme en Algérie, il espère continuer sur cette dynamique. Vous dirigez une institution régionale qui dépend du département d'Etat américain et qui se nomme le Mepi. Quels sont les objectifs visés par votre institution? Créée en décembre 2002, l'Initiative de partenariat avec le Moyen-Orient, ou Mepi en anglais, est administrée par le département d'Etat -l'équivalent du ministère des Affaires étrangères. Le but est d'appuyer un des objectifs prioritaires de la politique étrangère américaine, celui de renforcer la démocratie dans le monde arabe à travers une assistance concrète aux réformateurs démocratiques de la région. Au cours des quatre dernières années, le Mepi a financé plus de 400 projets dans 15 pays pour un montant global dépassant les 350 millions de dollars. Ceci est une preuve concrète que la nouvelle approche des Etats-Unis, vis-à-vis du monde arabe, n'est pas seulement rhétorique ou limitée à un travail conjoint avec les gouvernements. Elle vise plutôt à soutenir les personnes réellement engagées dans l'édification d'un avenir meilleur dans leurs pays. Quelle est la différence entre le projet américain du Grand Moyen-Orient, le GMO, et le Mepi? L'Initiative de Grand Moyen-Orient et d'Afrique du Nord -Bmena en anglais- constitue un effort multilatéral visant à réunir les gouvernements du G8, du monde arabe et d'autres pays musulmans clés, ainsi que des représentants de la société civile et de la communauté des affaires de la région. En décembre, la Jordanie accueillera la troisième réunion ministérielle du Forum pour l'avenir, une rencontre annuelle organisée dans le cadre de Bmena, au cours de laquelle nous ferons l'état des lieux sur notre travail commun dans d'importants domaines de réforme. Les efforts de Bmena sont en parfaite harmonie avec les priorités du Mepi. La différence est que Mepi représente une initiative bilatérale du gouvernement des Etats-Unis pour soutenir des projets de réforme dans le monde arabe. S'il s'agit de soutenir les grandes réformes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, pourquoi avoir attendu plus de 60 ans pour le faire? La décision des Etats-Unis de créer Mepi et de soutenir des réformes émane d'une reconsidération de la situation du monde arabe et de notre politique envers la région. Nous sommes de l'avis du rapport sur le développement humain dans le monde arabe, publié par le Pnud en 2002, qui présente une image plutôt sombre de la région. Ses auteurs -tous des chercheurs arabes de renom- ont estimé que l'absence de libertés, le manque de savoir et les droits limités de la femme, représentent des facteurs clés qui empêchent le monde arabe de jouir pleinement de ses possibilités. Toutefois, lors de notre évaluation, nous avons aussi réfléchi aux opportunités. Les peuples du monde arabe sont à la quête de libertés et de chances comme tout un chacun ailleurs, et nous assistons, en même temps, à l'émergence d'une communauté grandissante de réformateurs. Le monde extérieur peut et se doit d'aider ces peuples qui essaient d'améliorer leurs systèmes par le biais de moyens démocratiques. Sur la base de cette analyse, nous avons conclu que la politique des Etats-Unis, vis-à-vis du monde arabe -une politique qui a pendant longtemps soutenu le statu quo- doit changer. Les Etats-Unis ont alors entamé une approche à deux voies. La première est diplomatique exhortant les gouvernements de la région à mener de véritables actions dans le sens de la gouvernance démocratique. La seconde est programmatique c'est-à-dire apporter un soutien pratique aux personnes et aux groupes de la région s'efforçant de mettre en oeuvre des réformes dans leurs pays et à assurer un avenir meilleur à leurs peuples. C'est cette deuxième voie qui a été à l'origine de la création de Mepi. L'un des premiers obstacles qui risque d'entraver cette initiative est l'antiaméricanisme au niveau de certains pays arabes et musulmans. Comment comptez-vous contourner cet obstacle? Avec le temps, de la persévérance et des actions concrètes. Quand j'ai effectué ma première tournée à travers la région après l'ouverture du bureau régional de Mepi en août 2004, la plupart des réformateurs arabes m'ont accueilli avec scepticisme, et encore, c'était ceux qui étaient disposés à m'accueillir. Ils avançaient plusieurs raisons pour leur scepticisme: certains ne pensaient pas que les Etats-Unis étaient sincères à propos des réformes, d'autres n'étaient pas d'accord avec certains aspects de la politique américaine et enfin d'autres encore, craignaient pour leur réputation, et même avaient peur de s'exposer au danger, de par leur association avec les Etats-Unis. Là était une des raisons principales qui nous a amené à créer les bureaux régionaux de Mepi -avoir des personnes sur terrain pour traiter avec la réalité quotidienne des défis auxquels nous faisons face. La seule façon que je connaisse pour surmonter un tel scepticisme, est l'engagement et la persévérance. Donc, nous nous y engageons, et avec ceux qui acceptent de s'engager avec nous. Avec le temps, le nombre de réformateurs qui souhaitent s'engager avec nous a augmenté d'une façon extraordinaire. Je crois que la principale raison pour cela est qu'ils aient conclu que les Etats-Unis sont sincèrement engagés à promouvoir la démocratie. En prenant acte de nos déclarations politiques, clairement faites aux plus hauts niveaux, tout en observant notre soutien concret aux réformateurs sur terrain, leur scepticisme s'est estompé. Cela ne veut pas dire que maintenant ils sont d'accord avec tout ce que nous entreprenons, mais ils sont arrivés à la conclusion qu'ils ont, et que nous avons, un intérêt commun à promouvoir l'évolution démocratique. Un signe clair de cette évolution est le nombre de groupes qui nous ont évité dans le passé, mais qui viennent, aujourd'hui, vers nous avec des projets de réforme pour lesquels ils cherchent le soutien de Mepi. Lors de votre visite à Alger, en février dernier, vous avez abordé avec des responsables politiques algériens les possibilités d'élargissement de Mepi. Peut-on connaître les secteurs retenus au terme de ces discussions? En Algérie, nous avons déjà soutenu des programmes dans les quatre piliers de Mepi: la démocratie, la croissance économique, l'éducation et le renforcement du rôle de la femme. Au vu de notre expérience positive et de l'intérêt exprimé par les Algériens pour s'associer avec nous, nous avons, en effet, élargi notre travail dans plusieurs domaines. Pour vous donner juste quelques exemples, cet été, Mepi a initié un programme novateur pour les médias, qui aide les journaux locaux à améliorer les normes journalistiques, leur productivité, leur indépendance et l'objectivité de leurs opérations. Nous finançons également un programme de collaboration avec le Parlement algérien sur la rédaction des textes législatifs, les rapports avec les médias, les relations avec les constituants, l'analyse budgétaire et la recherche parlementaire. Dans le cadre du programme des écoles partenaires, une ONG américaine travaille actuellement avec le ministère de l'Education nationale sur un programme de formation en langue anglaise et d'intégration des technologies de l'information dans les salles de classe. L'autre objectif de votre visite à Alger a été également d'évaluer, de connaître les besoins locaux et les contraintes rencontrées dans la réalisation des programmes de Mepi en Algérie. Y a-t-il réellement des contraintes dans l'application de ce programme en Algérie? Notre appréciation, après le voyage effectué en février est, qu'en général, les programmes de Mepi ont réussi en Algérie et que plusieurs opportunités sont offertes pour continuer les programmes existants mais aussi, pour développer de nouveaux programmes avec des partenaires algériens afin de faire avancer les réformes en Algérie. Les contraintes que nous avons rencontrées ont été, en grande partie, d'ordre administratif et bureaucratique. Nous comprenons qu'un programme comme Mepi est relativement nouveau. C'est la raison pour laquelle nous sommes complètement transparents par rapport à nos objectifs et à nos activités. Sur la base de cette approche et des fortes relations bilatérales qui existent entre l'Algérie et les Etats-Unis, nous ne nous attendons pas à des contraintes majeures en Algérie. Depuis le lancement de Mepi en 2002, l'Algérie a bénéficié de deux programmes destinés essentiellement à la formation des journalistes et des parlementaires. Quel a été le montant alloué à ces deux programmes? Les deux programmes que vous mentionnez sont de parfaites illustrations de la façon avec laquelle Mepi s'appuie sur son expérience pour développer de nouveaux programmes et ainsi faire avancer les réformes. La formation des journalistes faisait partie d'un programme de renforcement des compétences des reporters qui s'étendait à l'ensemble du monde arabe. Alors que les journalistes, en tant qu'individus, ont profité de cette formation. Nous avons estimé que ce dont avait besoin la presse écrite algérienne pour améliorer sa qualité et son indépendance, était une approche beaucoup plus globale. Par conséquent, nous avons conçu, rien que pour l'Algérie, le programme initié cet été et dont j'ai parlé auparavant, qui ne concerne pas seulement l'aspect journalistique, mais aussi la gestion, l'édition, et tout ce qui peut aider à la réussite d'un journal. De même, et sur la base de la participation active et positive des membres de l'APN à un programme régional, nous avons conçu pour l'APN un programme d'assistance technique sur un ensemble de thèmes qu'ils ont estimé importants pour leur travail. Peut-on connaître la nature et le montant financier des autres initiatives arrêtées pour l'Algérie? Mepi a été conçu pour être flexible et pour répondre aux opportunités de réforme quand elles naissent. Notre expérience en Algérie a été positive et nous pensons qu'il existe un grand potentiel de travail avec un grand nombre d'Algériens talentueux, engagés à faire avancer les réformes dans leur pays. Ceci est reflété dans notre budget. Alors que les fonds alloués aux programmes de réforme en Algérie au cours des trois dernières années ont dépassé de peu les 9 millions de dollars, nous engagerons pour cette année seulement près de 4,3 millions de dollars. Nous souhaitons vraiment que ce partenariat fructueux continue à croître.