Il semble bien que les auteurs de l'enlèvement ont senti l'étau des forces de sécurité se resserrer sur eux. Adlène, le fils aîné de Abdelhak Layada, a été relâché mercredi dernier peu avant la tombée de la nuit. «Kidnappé» au centre d'Alger, le 21 octobre entre 14 et 15 heures alors qu'il se dirigeait vers le Palais du gouvernement, où il devait remettre une plainte de la part de Abdelhak contre l'APC de Baraki, pour une affaire de propriété, Adlène n'avait plus donné signe de vie, mettant en émoi, d'abord, sa propre famille, et donnant l'alerte à tous les services de sécurité, qui ont déclenché le jour même de larges investigations en vue de le retrouver. Fatigué par cinq jours de détention dans une maison «située à une heure de distance» du lieu de son mystérieux enlèvement, Adlène garde toute sa lucidité: «C'étaient des hommes armés. Deux d'entre eux étaient munis d'un klash. Ils m'ont sommé de les suivre, me poussant violemment dans une voiture. Ils étaient quatre, mais je n'ai pu voir que deux d'entre eux. Vêtus en tenue civile, ils avaient dans les trente ans. Immédiatement, j'ai été encagoulé et la voiture a démarré. Une heure plus tard, le moteur s'arrête et on me fait entrer dans une maison, menotté cette fois-ci. Pendant quatre jours, on m'a interrogé et posé des questions qui tournaient autour des liens que je pourrais avoir avec des groupes armés et sur les relations de mon père, ses visiteurs et ses contacts. Puis des questions reprennent sur la possibilité d'avoir contacté éventuellement des gens proches de ´´Abdelouadoud´´ (l'émir du Gspc, ndlr). On m'a insulté, on m'a giflé quatre ou cinq fois, et à chaque fois que j'étais interrogé on me voilait les yeux. Cela a duré quatre jours, le cinquième, on m'a mis dans une voiture, une Iveco, et on m'a fait descendre près des haouch à l'entrée de Zéralda. On m'a pris les deux mille dinars que j'avais, on m'a remis deux cents dinars me répétant de penser à ce qui m'a été dit. J'ai alors pris un transport jusqu'à Ain Bénian, puis jusqu'à Alger, et j'ai téléphoné d'un taxiphone près de la Dgsn à mes parents qui sont venus aussitôt me récupérer.» Chronologie d'une disparition Voilà, en résumé, le dénouement heureux d'une disparition qui avait mis en branle-bas les services de sécurité. Dès le début, le département du renseignement, la Direction générale de la sûreté nationale et la Gendarmerie nationale se sont saisis de l'affaire et ont tenté de démêler les fils de l'écheveau d'une disparition qui risquait d'avoir des conséquences désastreuses sur la réconciliation nationale et les rapports déjà tendus entre les autorités et les islamistes. Le ministère de l'Intérieur et celui de la Défense nationale ont été saisis aussi, dès le lendemain du mystérieux «enlèvement». Au lendemain de la disparition de Adlène, la maison des Layada ne désemplissait pas. Le téléphone d'Abdelhak aussi ne s'est pas arrêté de sonner. Tous les responsables de la sécurité intérieure étaient au courant de ce qui s'est passé, et avaient dépêché des émissaires pour suivre de près cette mystérieuse disparition, intervenue samedi 21 octobre vers 15h, entre l'hôtel Safir et le Palais du gouvernement, où Adlène devait se rendre sur recommandation de son père. Ce jour-là, tout avait commencé tôt. Dès le matin du 28e jour du Ramadhan, Abdelhak Layada, accompagné d'Adlène, devait se présenter successivement chez le président de l'APC de Baraki, puis chez le chef de daïra, puis au bureau d'un responsable local de la sécurité, afin de faire valoir ses droits sur une parcelle de terrain qu'il possède à la périphérie de Baraki, avec tous les documents en sa faveur, depuis 1989. Pensant que Layada passera toute sa vie en prison, certains ont eu la mauvaise idée de vendre sa parcelle en petits lots à des particuliers. Donc, lorsque Abdelhak se présente chez les responsables locaux de la commune, rapidement, une crise s'installe et les esprits se chauffent. Il aura fallu toute la bonne volonté du responsable local de la sécurité pour apaiser les tensions et calmer Abdelhak. Fin du premier acte. Vers midi, le chef de daïra reçoit Abdelhak en présence des responsables en question, et une conciliation est trouvée. Chemin faisant, certains élus parlent à Layada, comme ils parleront à trois journalistes, deux jours plus tard, d'une «mafia du foncier» qui sévit à Baraki, et dont les «entourloupes» sont connues de tous. Enlèvement à l'époque de la réconciliation Avec tous les documents en sa faveur et le droit de son côté, Layada saisit par écrit le ministère de l'Intérieur, tutelle des collectivités locales, et dont fait partie Baraki. Pour ce faire, il charge son fils Adlène de se présenter au niveau des services concernés du ministère de l'Intérieur et d'y déposer une lettre en bonne et due forme réclamant la propriété de la parcelle de Baraki, dont une copie est destinée au ministre de l'Intérieur, Nourredine Yazid Zerhouni. Accompagné de deux de ses cousins, Adlène part vers Alger à 13 heures précises. La circulation est calamiteuse et les bouchons se forment à perte de vue, vers 14h30, la voiture est au niveau de l'hôtel Safir. Pour gagner du temps, Adlène propose de partir seul déposer la lettre au Palais du gouvernement, tandis que la voiture continuera à faire des aller-retour, ne pouvant pas stationner, jusqu'à son retour. Adlène descend, muni de son cartable noir, où tous les documents et les photocopies de la propriété en litige s'y trouvent. Il prend la petite ruelle qui traverse en bordure de l'hôtel Safir et disparaît dans la foule algéroise, dense et composite. Fin du second acte. Les deux cousins d'Adlène tournent, tournent, tournent, et deux heures plus tard, ils stationnent en face du tribunal d'Alger et téléphonent à Adlène. Plusieurs fois de suite, les appels aboutissent sur la cassette qui répète, de la même manière, que le téléphone du correspondant est éteint ou hors de la zone de couverture. Ils mettent au courant Abdelhak Layada. Il leur demande de patienter encore. Une demi-heure après le ftour -il devait être 16h 45 ou 17h- les deux cousins attendent encore. Abdelhak leur demande de rentrer à la maison et entame lui-même les recherches, commençant par alerter les principaux responsables de la sécurité. Le lendemain, dimanche, vers 21h 30, le téléphone de son oncle paternel Zoheir sonne. C'est Adlène. C'est son numéro. D'une voix fatiguée, il murmure: «Ne vous inquiétez pas. Je ne sais pas où je suis. Dis à mon père...», la communication s'arrête. Depuis, le téléphone est éteint. Fin du troisième acte. Tous ceux qui connaissent Adlène sont restés bouche bée. Etudiant appliqué, mûri par les événements avant l'âge, c'est le type du garçon bien né, et ayant les meilleures relations avec tout le monde, y compris les services de sécurité. Il avait été reçu par des responsables politiques de haut rang, lorsqu'il allait plaider la cause de son père, et Farouk Ksentini peut dire beaucoup de bien de ce jeune homme BCBG qui se présentait souvent chez lui. Pour les services de sécurité même, il était de l'ordre de l'impensable qu'il ait choisi de rejoindre une voie de violence. C'était la première hypothèse qu'ils avaient de prime abord écartée. Abdelhak Layada, libéré par décret présidentiel en mars dernier, et qui avait gardé son calme jusque-là, nous donne sa lecture de cet événement douloureux qui l'a touché dans sa chair: «Pour moi, il s'agit d'une provocation. Je ne peux lui trouver une autre interprétation. C'est même peut-être un avertissement. Il est clair qu'il ne faut pas donner une justification aux commerçants du chaos et de l'agitation. Mais il est tout aussi clair qu'il faut percer à jour cet enlèvement mystérieux...»