Tant qu'il avait fait jour, lancé sur la RN1, nous avions le sentiment d'aller vers l'ouest. Ce sentiment se renforça davantage, lorsque le disque incandescent disparut derrière l'horizon, dans un nuage de poussière pourpre. Mais n'était-ce pas une illusion née d'une erreur d'optique ? Cette montagne à gauche qui ne semblait ni avancer ni reculer et à laquelle nous nous accrochions comme une bouée jetée dans cette mer de rocaille et de sable fin, car c'était le seul repère évident, ne se mettait-il pas soudain à obliquer doucement, signe que nous-mêmes commencions à bouger dans une certaine direction. Cependant, quand la nuit fut tout à fait venue, c'est une autre illusion, favorisée par l'obscurité, qui prenait possession de nos sens éblouis par les lumières de la ville, scintillantes comme autant d'étoiles au loin : celle de piquer résolument vers l'est, et, ainsi, par instants, de revenir sur nos pas. Toutes ces fausses impressions liées au sens de l'orientation perturbé par l'immensité désertique, l'absence de repères et la nuit complète, disparaîtraient le jour de notre retour. Quand notre véhicule s'arrête ce jeudi 9 février devant le siège de l'APW, il est 21 h30. Nous gravissons un large perron pour être de plain-pied avec l'entrée. Nous sommes reçus par quelques responsables, puis, on nous désigne la salle qu'on a mise à la disposition de la presse pour tout le temps que dureront les festivités d'Ennayer. Le siège a l'air d'un ksar, de cette couleur rouge brun qui est celle de toutes les maisons aux alentours. Cependant, nous ne prendrons vraiment connaissance avec la ville que le lendemain matin qui est un vendredi. Ce vendredi matin, nous avons déjà une idée approximative de l'ensemble. De l'hôtel Djenane El Malek, construit juste à la lisière de la palmeraie. L'avantage, quand on y a fait halte, est que cette structure hôtelière, qui n'est en fait qu'une auberge, construite sur un modèle architectural ancien qui prétend perpétuer la tradition, offre une synthèse parfaite de l'architecture de toute la ville : des ksours, des casbahs et peut-être des zaouïas et des mausolées. Même les toutes petites maisons sont faites suivant ce modèle. L'autre avantage a rapport à cette proximité avec l'oasis où le chant du ramier commence dès l'aube et rythme la journée jusqu'au coucher du Soleil. Timimoun au galop Ce matin, pour nous rendre au centre-ville, nous empruntons une ruelle si étroite que pour passer, l'autre véhicule qui venait en sens inverse à dû faire marche arrière pour trouver un petit espace où se ranger et libérer ainsi le passage. Le plus étrange, c'est que vous trouvez ce cadre de vie qui vous fait entrer dans un temps qui n'est plus, à votre goût ! Loin de vous ramener brutalement vers le présent, la rue principale à double voie vous laisse macérer dans votre exotisme. Il y a une harmonie entre les ksours et les humbles habitations, la grande artère, avec, à l'est sur une grande partie, des colonnes allant deux par deux et reliées entre elles par des frontons, séparant les deux voies. Plus loin, une coupole rouge, puis plus loin encore, à hauteur du marché, qui a été baptisé Ennayer, la veille par le wali en compagnie du SG du HCA. Et puis, une construction parallélépipédique qui fait penser à une guérite, percée de trous par où sort de l'eau qui retombe avec un doux bruit de ruissellement dans un bassin circulaire. Beaucoup de gens se reposent sur ses bords. Des femmes et des enfants surtout. Certains prennent des photos. Le lieu est mythique. À un moment de l'année, une procession de femmes vient en pèlerinage pour moudre du blé. Nous nous arrêtons. En face, c'est la place. Une exposition de produits artisanaux crée l'évènement de la journée. Le wali et son hôte El Hachemi Assad sont attendus d'un moment à l'autre. En faire le tour en écoutant chacun expliquer sa technique en rapport avec le savoir-faire ancestral à valoriser n'est pas une mince affaire. Ici, une femme enfile des perles multicolores en verre à l'aide d'un métier artisanal long d'à peine 30 cm et large de 10. Là, une jeune artisane qui emploie sa sœur pour exécuter artistiquement des portraits à l'aide des carcasses de calebasses vidées et jetées. Plus loin, des stands consacrés au costume traditionnel pour hommes et pour femmes et quantités de dépliants consacrés au patrimoine de la région. À titre d'exemple, l'Office national du parc culturel du Touat, du Gourara et du Tidikelt, nous en offre quelques spécimens. Et là, quand on n'est ni un érudit ni de la région, on s'étonnera que certaines appellations de ksours et de casbahs soient étrangères à l'arabe. On trouvera au Gourara, au Touat et au Tidikelt le ksar de Tamentit, le ksar d'Agha, de Tazlout, la casbah Bouali, la zaouïa du cheikh Taberkent, les ksours Tamaktoune etc. Nous n'avons pas mentionné les plus importants ksours comme celui de Sidi Brahim. Sur une grande table, sont alignées des soucoupes contenant une poudre rouge et une poudre blanche délayée dans de l'eau. Elles constituent la palette de nos jeunes artistes. Ici, un chameau ou un palmier, là un ksar ou même un ustensile (une marmite). Abdelkrim, le responsable explique : « C'est un atelier dédié à la sculpture. Aujourd'hui, on fait de la gravure. Certains sont d'Akbou. Ils rivalisent d'ingéniosité et de talent avec leurs nouveaux amis. « Qu'est-ce c'est que ces pierres ? », demandons-nous à notre vis- à-vis qui s'est improvisé guide pour faire les honneurs de son atelier. Nous venons d'aviser sur le meuble un tas de cailloux de couleurs rouge brun et blanc cassé. « Ce sont deux roches de la nature de l'argile », déclare le chef de Capter. Virée en solitaire Nous ne sommes pas au bout de notre curiosité, car voilà que ce natif de Timimoun qui peut remonter le cours de l'histoire du chef-lieu de la nouvelle wilaya jusqu'au temps où il n'y avait que quelques ksours ici et là, avant de former à la lisière de l'immense oasis, la ville que nous connaissons. La koalinite est le principal matériau de construction utilisé par les habitants de Timimoun. Comme la koalinite est d'un rouge ocre et qu'elle est le matériau par excellence utilisé dans la construction des ksours et des habitations, ainsi avons-nous l'explication concernant le surnom d'oasis rouge. Heureusement qu'il existe des gisements de koalinite à l'infini. Ce qui, à la différence de l'autre espèce de roche friable, la smectatite, ne fait jamais planer la pénurie sur ce produit argileux. Pour obtenir des nuances dégradées de rouge et de blanc, la vingtaine d'artistes qui travaillent cet après-midi au centre Capter broient dans un grand mortier ces deux sortes de cailloux. Ce n'était pas en fait une virée, mais un égarement dû à des renseignements imprécis. « Vous cherchez l'hôtel Djenane El Malek ? Revenez sur vos pas et à partir de la coupole blanche, prenez à gauche, via le marché », dit la première personne que nous rencontrons sur notre chemin. Superbe marché fraîchement baptisé Ennayer, jouxtant le musée. Animé ce vendredi. Quelques pas plus loin, il faut s'arrêter. L'espace se restreint. Ce ne sont plus des ruelles, ce sont des dédales : les couloirs donnant sur des escaliers et des escaliers donnant sur des couloirs. Enfin un jeune, de vingt-deux ou vingt-trois ans, plein de vigueur et de bonne volonté, s'offre à nous servir de Cicéron. Brusquement, un couloir bute sur un mur, mais le jeune homme bifurque sur la droite. Une ouverture débouche sur un passage tout aussi étroit, couvert en maints endroits. Encore des escaliers, puis autre boyau capable de permettre à une voiture de passer. Le jeune homme se retourne : «Vous allez tout droit. Vous avez l'hôtel que vous chercher sur votre gauche. » Confiants, nous allons du même pas avec le sentiment d'être seuls au monde. Le mur de clôture est assez haut et le chemin désert qui, couvert de sable, amortit tout bruit, y compris celui de nos pas. Miracle ! une voiture passe. Nous nous jetons sur le côté et demandons la confirmation de notre direction. « Vous continuez tout droit.» Ce sont les seuls mots qui nous parviennent quand le véhicule repart. Et nous aussi. Deux cents mètres plus loin, il y a bien une petite piste. Mais où va-t-elle, si toutefois, elle mène quelque part, car il y a un renflement à cet endroit qui cache tout. Dix pas encore. Un bâtiment apparaît sur notre gauche, caché à demi par les palmiers. Serait–ce lui par hasard ? Impossible de le confondre avec un hôtel. Le silence est parfait, comme dans Les lettres de mon moulin. Mais au lieu de champs fleuris et de chants d'oiseaux, nous, c'est le roucoulement du ramier et le murmure presque ininterrompu de l'eau dirigée, selon un système d'arrosage en vigueur depuis des siècles. Le banquet de plus de sept cent- cinquante places ! Bercé par le double chant, nous nous laissons glisser comme une ombre le long de l'allée sablonneuse en pente. De temps en temps, nous scrutons le sol à la recherche de traces de pneus imprimées ce matin sur le sable trempé. Rien, pas même le pas d'un humain. Nous allons atteindre le petit val qui coupe la palmeraie en deux. Nous avons maintenant la certitude de nous être égarés. Autant en profiter pour visiter quelques vergers. Des carrés de jeunes plants, salades, oignons, mais des palmiers, dont quelques-uns morts. « La sécheresse », incrimine Chaouch, notre chauffeur auquel nous confions notre souci, et quand nous aurons fini par retrouver le chemin de notre hôtel. Nous aurions aimé compléter nos souvenirs sur Timimoun, en parlant avec plus de détails du siège de la wilaya, en forme de ksar, qui est un des coins les plus charmants ; de la salle de cinéma où ont eu lieu les conférences sur la langue amazighe, et dont le luxe nous a frappés ; de l'institut agronomique où, sous la Lune, le banquet de plus de sept cent-cinquante places, offert par la wilaya, a donné à la soirée un caractère si romantique ; de cette fantastique parade des différentes associations, des artisans, de scouts, de cavaliers montés sur des chevaux et des méharis ; enfin du théâtre de plein air où a lieu la cérémonie d'attribution des différents prix littéraires en langue amazighe, suivie d'une soirée artistique, et qui, éclairés par l'astre de la nuit a paru si magique, mais le temps et l'espace manquant, nous espérons avoir un jour l'occasion de leur accorder plus de place.