L'époque actuelle est marquée par la coexistence de trois mondes guidés par des mobiles différents: 1- le monde des puissants obsédé par ses intérêts; 2- le monde des émergents empressés d'y arriver; 3- le monde des vulnérables dont l'avenir est en suspens. Ce 3ème monde opère ainsi dans un cadre qui suit ses propres règles, et qui ne s'ajuste pas aux attentes des pays en retard comme le notre; car il est régi par des facteurs et des nécessités qui sont hors de leur contrôle. D'où l'utilité pour eux d'en cerner les aspects prépondérants en raison de l'incapacité à s'y soustraire et de l'obligation de s'y adapter. Parmi ces aspects, la nouvelle politique américaine occupe une place centrale. Elle a été formulée par le président Trump dans le sens d'un nationalisme à la fois économique, politique et expansionniste qui altère sensiblement l'idée reçue que l'on a de son pays. Les uns y voient l'expression d'une logique d'affrontement où la loi du plus fort éclipse le droit international et son rôle harmonisateur. Les autres la mettent sur le compte de la fougue d'un leader extravagant enivré de sa puissance et qui ne se fierait qu'à son instinct de businessman hardi. D'autres encore l'assimilent à de l'empirisme au sens d'un rejet des raisonnements abstraits pour ne voir le monde qu'à travers l'impact des nouvelles rivalités d'influence, ainsi qu'à un pragmatisme qui ne tiendrait pour vrais que l'efficience et le résultat concret. Il en est aussi pour qui le «trumpisme» est indissociable de quatre dimensions contextuelles: 1- la 3ème mondialisation en tant que «système cherchant à se déployer (vers) de nouveaux territoires, ressources» et marchés, via «les volontés de puissance des Etats dominants», ainsi que les dynamiques de «différents acteurs» (cf. L. Carroué et consorts, 2005); 2- l'évolution du monde d'après 1945 vers l'unipolarité américaine; 3- la contestation de l'idéologie mondialiste, notamment par des gouvernements qui prônent des politiques de repli comme celle de l' «America First»; 4- la poussée du national-populisme où convergent la fermeture identitaire, les sentiments anti-immigrés, les valeurs morales classiques, le rejet du multilatéralisme, la nostalgie d'un passé idéalisé, la quête de puissance et autre anti-élitisme politique ou médiatique (cf. M. Winock, 1990). Autant de facteurs sous-jacents d'un phénomène complexe qui pèse sur les relations internationales, suscitant partout des débats et des controverses, ainsi que des inquiétudes et des questionnements. Dans cette perspective, le «trumpisme» peut être appréhendé de deux manières. D'abord sous l'angle d'une doctrine structurée, tel le libéralisme par exemple, qui implique chez ses apôtres des convictions et un attachement ferme aux choses abstraites. Mais surtout sous l'angle d'une stratégie de réactivité aux opportunités s'inspirant de N. Machiavel (1513), M. Weber (1919) ou encore C. Schmitt (1922), c'est-à-dire une approche utilitaire fondée sur la prééminence des fins, même au prix d'une communication de diversion (U. Dascal, 2025). C'est manifestement cette stratégie qui correspond le mieux à la méthode Trump. Car il ne renvoie pas l'image d'un théoricien dogmatique isolé des réalités, mais celle d'un homme de terrain dont le tempérament s'enracine dans l'histoire de l'Amérique. Celle-ci est jalonnée d'exploits qui reflètent un élan pionnier et un dynamisme entreprenant centré sur la conquête et l'innovation avec des aléas qui sont pleinement assumés, à l'exemple de ceux qui sont liés aux décisions prises après l'élection du 5/11/2024. Le réveil de ce dynamisme face à des enjeux et défis stratégiques et politiques énormes, survient avec l'entrée en scène de D. Trump, E. Musk, S. Banon, J. Rogan, R. DeSantis, K. McCarthy, J. Jordan...qui émergent en tant que nouveaux pionniers. Tous s'inscrivent dans la tradition des figures emblématiques qui ont contribué à faire des Etats-Unis, en 40 ans (1860-1900), «la première puissance mondiale dans tous les domaines». C'est «un groupe d'hommes qui régnaient sur le monde de l'industrie, des affaires et de la finance. Ils se nomment D. Drew, J. Gould, C. Huntington, A. Carnegie, J.D. Rockefeller, J.P. Morgan... Ils ont édifié des fortunes considérables et fondé des empires dont la plupart survivent aujourd'hui même» (cf. M. Debouzy, 1972). Malgré une quinzaine de crises endurées de 1819 à 2008 (M. Dipl, Mdv-2009), le capitalisme américain n'a pas perdu sa vivacité. En veille permanente grâce notamment, à l'emprise du monde des affaires sur les partis et les centres de décision, il s'applique à consolider ses positions à l'intérieur et aussi en Asie-Pacifique face à la Chine, au Moyen-Orient et en Afrique. Il le fait depuis les présidences Mc. Kinley et Th. Roosevelt (1869-1909) via une large participation des entrepreneurs à la vie politique à tous les niveaux. Dans ce contexte, la quête du profit et de la sécurité prime sur les principes moraux et le respect scrupuleux du droit. C'est pourquoi il serait vain pour notre diplomatie d'ignorer cette réalité historique dans son approche des relations algéro-américaines en basant son travail sur des considérations exclusivement éthiques. Le chef de l'Etat algérien l'a d'ailleurs bien compris qui a exprimé dans sa lettre du 6/11/2024 au président élu des Etats-Unis sa volonté de «travailler avec lui». *Membre du Conseil de la nation