Le pays des Raffidaïn s'achemine sûrement vers l'implosion si la situation n'est pas sérieusement prise en main. Il y a urgence, c'est sans doute ce qu'ont dû estimer les numéros un et deux de la Maison-Blanche, George W.Bush et Dick Cheney, qui ont entrepris, séparément, un pèlerinage dans la région du Moyen-Orient, pour voir s'il y a encore moyen de réparer les dégâts que la stratégie inconsidérée de l'administration américaine a causé et cause encore à l'Irak depuis trois ans et demi. Le vice-président américain, Dick Cheney, qui précède son chef, était, depuis vendredi, en Arabie Saoudite où il aura, indique-t-on, des discussions avec les responsables saoudiens. Le président Bush sera, pour sa part, l'hôte de la Jordanie à partir du 29 novembre où il doit rencontrer le Premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki. Outre la présence de ces deux poids lourds de l'administration américaine dans le voisinage de l'Irak, il est prévu l'arrivée, sous peu, au Proche-Orient de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice, numéro trois de l'administration Bush. Mais tout ce déploiement américain autour de l'Irak sera-t-il pour autant suffisant, pour faire sortir le pays des Raffidaïn de l'ornière dans laquelle l'a plongé la guerre que lui imposèrent les Etats-Unis? Il y a lieu d'en douter d'autant plus que l'armée américaine s'enfonce, chaque jour, un peu plus dans un bourbier, que l'invasion du 19 mars 2003 annonçait en filigrane. De fait, le mois d'octobre, avec plus de 100 soldats tués, a été calamiteux pour l'armée américaine au moment où le mois en cours s'annonce aussi meurtrier pour les forces américaines en Irak. Des forces qui n'ont, en fait, apporté ni paix, ni sécurité, ni démocratie à l'Irak. Ce qui est vrai en revanche est que cette invasion et la guerre qu'elle a induite a mis en place tous les ingrédients de l'implosion et de la division de l'Irak. La sanglante attaque, jeudi, du quartier chiite de Sadr City et de l'horrible tuerie qui s'en est suivie sont un nouvel acte de la guerre confessionnelle, induite par l'invasion, qui lamine le pays à petit feu. Les représailles qui ont suivi vendredi, contre quatre moquées sunnites à Baghdad accentuent l'engrenage dans lequel le pays est tombé de par la grâce d'une administration Bush, prête à sacrifier un peuple et un pays sur l'autel d'intérêts étroits d'hégémonisme sur la région. M.Bush a ouvert en Irak une boîte de Pandore dont il a toute les peines du monde à en contrôler les effets. Mise sur la défensive en Irak, acculée par la montée en flèche des antiguerre aux Etats-Unis (avec le résultat de la perte de la majorité au Congrès lors du scrutin du mi-mandat du 7 novembre), l'administration Bush tente de remodeler sa politique irakienne en mettant en place une nouvelle stratégie. Mais n'est-il pas un peu tard? Aussi, il est peu probable que la rencontre, mercredi, de M.Bush avec le Premier ministre irakien, Nouri Al Maliki, apporte du nouveau à une situation irakienne devenue inextricable par les dérives des uns, les inconstances des autres, les tergiversations de tous, enfin. De fait, il est loisible d'observer qu'il y a aujourd'hui, en Irak, un Etat dans l'Etat, qui est le Kurdistan qui prend de plus en plus d'autonomie et de recul par rapport au pouvoir central de Baghdad, deux entités confessionnelles, les chiites et les sunnites, qui se combattent de plus en plus violemment, menaçant, ainsi, le pays d'éclatement. Vendredi, des affrontements ont opposé dans le quartier de Hurriyah, à Baghdad, des sunnites à des chiites et il fallut l'intervention de l'armée américaine pour faire cesser les combats. Un porte-parole du ministère irakien de la Défense à indiqué à propos de ces affrontements «Nous n'avons pas pu intervenir, ni l'armée ni la police. Les combats étaient trop importants. Nous avons appelé l'armée américaine en renfort. Celle-ci a pu faire cesser les combats». Il a été fait état, vendredi, de plusieurs morts et blessés, dans ces combats, sans qu'un bilan chiffré soit dressé. A cet état de guerre sur le terrain, s'ajoute la paralysie d'un gouvernement incapable de mettre un terme à la violence et de restaurer la sécurité dans le pays, malgré la légitimité que les urnes lui ont donné. De fait, la rencontre projetée, à Amman, de M.Maliki avec George W.Bush, ce mercredi, risque même de sonner le glas du gouvernement d'union nationale comme l'en menace le courant radical chiite mené par Moqtada Sadr. Ce dernier a, en effet, mis en garde vendredi, après l'attaque contre Sadr City, quant à l'opportunité d'une telle réunion, affirmant dans un communiqué: «Nous nous retirerons du gouvernement et du Parlement si le Premier ministre rencontre Bush en Jordanie». Le groupe politique du chef radical Moqtada Sadr dispose en effet de 30 députés au Parlement et plusieurs ministres dans le gouvernement d'union nationale, dont ceux de la Santé et des Communications. Dès lors, une défection du courant de Moqtada Sadr aura de graves incidences sur le gouvernement qui n'arrive pas à trouver la cohésion nécessaire, depuis sa mise en place, pour rétablir la sécurité dans la capitale, notamment. C'est sur ce problème, justement, que vont se pencher MM.Bush et Maliki, si l'on en croit une déclaration d'un porte-parole de la Maison-Blanche, Scott Stanzel, selon lequel «sécuriser Baghdad et contrôler la violence figureront parmi les priorités quand le président Bush rencontrera le Premier ministre Maliki». C'est dire que la rencontre entre les deux dirigeants serait maintenue malgré les menaces du courant radical chiite. Mais, autant Bush reste impuissant à trouver une solution au brasier irakien qu'il a contribué à allumer, autant Maliki est coincé dans une impasse que ses maladresses politiques ont, à tout le moins, provoqué. C'est dire que MM.Bush et Maliki ne semblent plus les hommes de la situation en Irak.