Voilà 36 ans (1989-2025) que suite aux émeutes d'octobre 1988, une Constitution révolutionnaire a bouleversé le paysage politique national. C'est un acte décisif qui a mis fin au modèle socialiste, faisant basculer le pays en 142 jours à peine (5/10/88 au 23/2/89) dans un modèle aux antipodes. Mais au lieu du régime prometteur annoncé, une crise majeure a éclaté qui a conduit à l'effondrement du FLN et à l'émergence de multiples partis brandissant des idéologies taillées sur mesure. Contrairement à la Révolution de 1954 qui avait des soubassements doctrinaux établis avant son déclenchement, affinés avec le temps, bien assimilés et unanimement endossés jusqu'à son triomphe final (1962), celle de 1989 a donc surgi soudainement. Toutes les deux ont en commun d'avoir provoqué une explosion de violence d'une ampleur historique. Mais si cette violence a conduit la première au succès, elle a mené la seconde droit vers l'échec. Maints analystes, passant outre la hardiesse manifeste des «réformateurs», attribuent cet échec à un dogmatisme et une arrogance qui les auraient conduits à «jouer aux apprentis sorciers» en négligeant le dialogue, la pédagogie et la confiance face aux obstacles. D'autres y discernent un effet des rivalités à l'oeuvre au sommet du pouvoir. Il en est aussi qui soulignent l'immaturité d'une classe politique constituée à la hâte sur les décombres du parti unique avec des conceptions en décalage avec la réalité culturelle. Dans tous les cas, il s'agit d'un épisode significatif de notre passé récent. Il a sculpté l'avenir dont fait partie l'étape actuelle. D'où l'intérêt de prendre la mesure de ce qu'a été hier pour juger sans préjugés aujourd'hui. À ce propos, la rupture de 1989 met en évidence deux problèmes: 1-pourquoi a-t-elle pris une tournure tragique? 2- Pourquoi l'Etat ne s'est-il pas effondré? La tragédie a commencé avec l'erreur stratégique d'avoir toléré l'ingérence religieuse en politique. Elle s'est amplifiée dans un climat effervescent avec le choc des idéologies en présence, les ambitions et les appétits opposés des hommes, leurs calculs, leurs intérêts, leurs rancoeurs ou rancunes...bref, leur psychologie, sans oublier un fait essentiel tiré du vécu historique: le pluralisme doit s'apprendre. C'est un processus évolutif qui implique des étapes, une culture du débat d'idées et de l'Etat, ainsi qu'une dimension citoyenne et civique nécessaire à l'assimilation et au respect des règles du jeu par tous... Or grosso modo, que s'est-il passé après 1989, sinon un retour des partis d'avant 1954 qui furent incapables de s'unir jusqu'à ce qu'ils soient contraints à une synergie des forces au sein du FLN. Cette fois, le contexte a certes changé, mais pas l'état d'esprit. De fait, la rivalité intense pour le pouvoir qui s'est engagée dès 1962, alors que l'Etat peinait à émerger, refait surface au moment où ce même Etat âgé d'à peine 27 ans était bien essoufflé et confronté à des principes subversifs diffusés par tous les moyens, y compris dans les lieux de culte. Loin de toute stigmatisation, ces propos visent à informer nos jeunes sur les failles des politiciens qui ont plongé le pays à la fin du siècle dernier dans l'un de ces moments tragiques où les repères se brouillent et où la société oscille entre des croyances anciennes et des idées nouvelles. Il en a souffert, mais sa jeunesse a mûri et a suscité, 20 ans plus tard, l'admiration du monde par sa haute civilité dans le hirak. L'une des failles les plus marquantes a été de surexciter les passions des foules plutôt que de préparer sereinement le peuple, communauté fixe d'individus, à un changement rationnel et raisonnable. Or, les foules «accumulent non pas une intelligence élevée mais la médiocrité» (dixit G. Le Bon, 1947), parce que chez elles, «la logique rationnelle» s'efface devant «des formes de logique très différentes» qui mènent à des comportements irrationnels, voire chaotiques. C'est en tout cas dans ces circonstances que la décennie 1990 a été vécue. Elle s'est conclue par un bilan, une sortie et un questionnement. Le bilan montre que le désordre est fatal, même pour un modèle conçu et consolidé durant 27 ans avec la participation de toutes les strates de la société. La sortie de la tourmente quant à elle, est passée par la rahma (1995), puis la concorde et la réconciliation réalisées en 6 ans (1999-2005) grâce à une pédagogie immersive et une adhésion populaire massive. Elles ont permis à l'Algérie de reprendre sa marche vers son nouveau destin. Durant 20 ans (2005-2025), elle évolue calmement, et à une cadence plus soutenue ces cinq dernières années. Concernant le questionnement, il porte sur les raisons ayant permis à l'Etat de rester debout, témoignant de son endurance et de sa résilience, malgré ses lacunes et les fissures subies par ses piliers porteurs. L'objectivité impose de reconnaître que de tous ces piliers, ceux qui ont le moins vacillé sont les institutions responsables de son intégrité territoriale, sa souveraineté, sa sécurité, sa stabilité et l'ordre public. Elles ont pu le protéger en faisant rempart autour de lui. En cette période d'instabilité mondiale, il est crucial qu'elles progressent et l'épaulent dans sa quête de consolidation politique, diplomatique, économique, managériale, technologique, morale... pour parvenir à l'idéal ultime auquel aspire le pays.