La nouvelle orientation prise par l'Algérie a faussé l'analyse de l'UE, du FMI et celle des spécialistes les plus aguerris. La liste des entreprises publiques soustraites à la privatisation n'est pas encore définitive, a appris L'Expression, de sources gouvernementales. La centaine de sociétés annoncées par le ministre des Participations et de la Promotion des investissements a été dégagée, après une étude sommaire du dossier des privatisations. Nos sources vont même jusqu'à dire que le nombre d'entreprises qui resteront dans le giron de l'Etat dépasse plusieurs centaines. «Plus de 25% des sociétés listées comme privatisables seront purement et simplement reversés dans le portefeuille de l'Etat», révèle un cadre qui soutient que les récentes déclarations des ministres des Transports et du Tourisme ne sont, en réalité que la partie apparente de l'iceberg. Et pour cause, le gouvernement va bientôt rendre publique sa nouvelle «stratégie industrielle» qui tranche, radicalement, avec la démarche suivie jusque-là par le même Exécutif. Ainsi, classé comme une démarche stratégique irréversible en Algérie, le processus des privatisations marque, désormais, le pas. Le ministre des Participations et de la Promotion des investissements, Abdelhamid Temmar, vient d'ajouter un autre fait probant à ce recul et à l'assouplissement des convictions ultralibérales des dirigeants algériens. «L'Etat protégera de la privatisation une centaine d'entreprises de notre tissu industriel», a déclaré M.Temmar, lundi dernier, sous le regard jubilatoire du patron de la Centrale syndicale, Sidi-Saïd, lors d'un séminaire sur l'expérience suédoise dans la privatisation et le dialogue social. Au passage, le ministre a même ajouté que «la question de l'industrie en Algérie est importante, car elle est notre locomotive, si nous voulons entrer dans le commerce international. Il ne faut pas nous tromper». Après la course effrénée à la libéralisation tous azimuts, on entame, non pas la vitesse de croisière, mais la marche arrière. L'intérêt brusque exprimé par M.Temmar pour sauvegarder le secteur industriel va à contre-courant de la stratégie gouvernementale poursuivie depuis les cinq dernières années. La privatisation de l`ensemble des sociétés industrielles publiques quel que soit leur bilan, a été déclarée, admise, adoptée, défendue et applaudie par le pouvoir politique. Les dirigeants justifiaient les privatisations par la situation catastrophique du tissu industriel national. C'est ainsi qu'ils concevaient le désengagement de l'Etat de la sphère économique, érigé en principe absolu de l'économie moderne. Et à la Centrale syndicale de répliquer maintenant qu'elle est en position de force, qu'il n'est pas question que l'Etat se désengage de ses responsabilités économiques: «L'Etat doit se désengager de la gestion et non de la sphère économique». Au fait, la loi sur les hydrocarbures a été la meilleure illustration de cette volte-face inattendue des pouvoirs publics. La polémique a été violente dans la presse nationale au sujet de la loi Khelil. Votée par le Parlement en avril 2005, et publiée au Journal officiel, la loi n'a jamais été mise en oeuvre. Le président de la République n'a pas signé les décrets d'application. Une autre version de cette loi revue et corrigée, est alors remise aux députés en 2006 pour l'adopter de nouveau. Dans cette démarche «à reculons», le système bancaire est, lui aussi, directement concerné. La Banque nationale d'Algérie (BNA) et la Banque extérieure d'Algérie (BEA) ne sont plus privatisables. Figurant dans l'agenda de Temmar, celles-ci connaîtront, contre toute attente, une opération profonde de modernisation. En juin dernier, le FMI a, pourtant, estimé que l'Algérie doit faire des efforts pour accélérer le processus de privatisation des grandes banques publiques pour mieux soutenir la réforme et la modernisation du système bancaire algérien. Il n'y a pas que le FMI qui a été surpris par la démarche des dirigeants algériens. L'UE a, également, été prise de court par cette volte-face. En janvier dernier, l'Algérie devait bénéficier d'un financement de 8,15 millions d'euros de l'Europe, destiné à accélérer le programme de privatisation des entreprises publiques. L'aide est destinée à redynamiser cette opération, selon la lettre d'information hebdomadaire sur le partenariat euro-méditerranéen. Même les observateurs les plus aguerris en stratégie économique, les revues internationales qui éclairent l'opinion mondiale sur l'économie, se sont leurrés dans leurs analyses. «Le processus des privatisations a pu se concrétiser au niveau de quelques banques, des entreprises publiques et le secteur des télécommunications. Même s'il paraît assez lent, le processus des privatisations a toutes les chances d'être totalement achevé durant la période qui s'étalera de 2008 à 2010», a écrit la revue The Economist Intelligent. Une autre victime, puisqu'avec le revirement actuel, le processus ne sera pas achevé mais tout simplement stoppé. «Ceux qui ont appliqué le socialisme avec zèle sont les mêmes qui se sont reconvertis au libéralisme, ils sont extrémistes et dangereux», a soutenu la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, pour ne citer que cette politicienne.