Pour la seule année 2006, le nombre des migrants, engloutis par la mer, a atteint les 6000 victimes. La grande bleue s'avère être le gouffre où s'opère une véritable hécatombe. Un chiffre très provisoire fait état de quelque 10.000 migrants engloutis par la mer ces dernières années, soit le triple du nombre des victimes de l'attentat contre le World Trade Center et le double de ceux des deux Intifadhas palestiniennes. Pour la seule année en cours, la flèche de la courbe flirte déjà avec le plafond des 6000 victimes. Le décompte ne comptabilise pas le nombre de victimes qui ont péri dans l'anonymat en plein désert. Les chiffres vont crescendo, à en croire Ali Bensaâd, géographe, chercheur et maître de conférences à l'université de Provence (Marseille). Le pic avait été recensé en 1992. 80.000 migrants ont péri dans le détroit du Gibraltar. Une face cachée si terrible dun aller sans retour. Pour l'année 2006, s'ajoutant au nombre des malchanceux, quelque 30.000 ont réussi à atteindre la rive nord de la Méditerranée, particulièrement l'Espagne. En 2003, le chiffre des survivants a été de l'ordre de 9000. Une mathématique qui lève le voile sur une courbe bel et bien ascendante. Mais exagérément dramatisée par les pays de l'Europe, à commencer par le Royaume ibérique et l'Hexagone. Ces deux Etats, éprouvant un sentiment d'agacement permanent, tentent, coûte que coûte, de réprimer ce mouvement «tout naturel» des populations, d'après Ali Bensaâd. Ils sont allés (l'Espagne et la France) jusqu'à tenter de tuer le fléau dans l'oeuf, demandant aux pays maghrébins de servir de premier barrage. D'ailleurs, le groupe des 5+5, construit sur les cendres du processus de Barcelone, s'est toujours contenté de débattre la question de «l'immigration clandestine» et la sécurité. L'Europe, a fortiori, se cache derrière le Maghreb pour servir uniquement ses intérêts, une stratégie à l'origine du fiasco du «processus de Barcelone». Le phénomène migratoire n'est, en fin de compte, pas si dramatique pour les Européens, démystifie l'invité du Centre culturel français à Alger. Explications: pour le cas Espagne, puisqu'elle est la plus touchée, depuis 20 ans, la masse étrangère africaine ne représentait que 2,3% du total des populations étrangères. Pour l'année en cours, le taux de croissance en Espagne est le plus élevé de tous les autres pays de l'Europe, soit 5,6%. Le conférencier ira encore plus loin dans son plaidoyer. Il explique que 80% de la croissance ibérique est dûe aux rentrées du marché du travail. «En termes d'emploi, la situation est nettement meilleure qu'en France.» Ce pays est prisonnier, néanmoins, d'une autre réalité que ses responsables ne veulent pas assumer. «La France a besoin de quelque 1,5 million de travailleurs pour booster ses chantiers.» Quoi qu'il en soit, «la focalisation sur la question d'immigration est injuste», s'insurge Ali Bensaâd. Le groupe des 5+5, objet de plusieurs réserves de la part de l'Algérie, pourrait ainsi connaître le même sort que le processus de Barcelone. Le processus aurait pu réussir si le dialogue se faisait entre deux entités politico-économiques, en l'occurrence, l'UE et l'UMA. Or l'Union européenne n'a jamais privilégié des négociations avec une UMA qui constituerait «un danger» pour ses futurs rapports. Ceux-ci devront être inévitablement très spéciaux et pourront conduire à la libre-circulation des personnes. Chose qui fera tomber à l'eau le projet européen de lutte contre les flux migratoires. Les Maghrébins, quant à eux, n'ont pas encore compris le jeu.