Un gouvernement mondial drivé par l'Occident prend forme au moment où les autres pays du monde demeurent dans l'expectative. Lors du dernier Sommet de l'Otan tenu à Riga (Lettonie), les chefs d'Etat et de gouvernement ont lancé un appel clair à l'adhésion à des pays qui participent ou collaborent aux diverses missions de l'Organisation transatlantique. Ainsi, l'appel du pied à des pays comme l'Australie, le Japon, la Corée du Sud ou encore à des pays situés dans le premier cercle stratégique de l'Otan, comme les pays des Balkans, conforte la volonté manifeste de concentration des pouvoirs politiques et militaires mondiaux aux mains des Occidentaux. Une sorte de gouvernement futur mondial se dessine sous nos yeux, sans que le reste des pays du monde y puissent changer, pour l'instant, quelque chose. Détenant le pouvoir de décision politique au sein de ce grand «parlement mondial» qu'est l'ONU (le Conseil de sécurité et le droit de veto), ils se réservent aujourd'hui à la construction de l'instrument qui garantit l'application et respect, selon leur vision, de la légalité et la paix dans le monde. On peut être d'accord ou pas. Mais le XXIéme siècle s'installe sur un équilibre bancal: l'équilibre Est-Ouest s'est fondu au profit d'un déséquilibre Nord-Sud. La déferlante de la mondialisation n'est pas qu'économique. Mais détrompons-nous, il ne faut pas voir dans l'Occident un bloc monolithique, soudé et solidaire sur tout. Les intérêts de tel ou tel Etat, ou groupe d'Etats, divergent souvent pour mille et une raisons. Cela peut servir dans certaines conjonctures les pays tiers, majoritairement situés dans l'hémisphère Sud, à nouer des stratégies pour juguler la loi du plus fort. Ainsi, l'Union européenne (U.E), face au projet du Grand Moyen-Orient (GMO) américain, lance, par exemple, à partir du mois de janvier prochain, sa nouvelle politique de voisinage renforcée (PEV), qui inclut le sud de la Méditerranée, les pays du Moyen-Orient et ceux de l'Asie mineure justement. L'affrontement géostratégique USA-UE dans la région sera féroce et sans concessions, malgré l'unité idéologique de façade. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles l'UE ne se suffit pas de la garantie des forces armées de l'Otan auxquelles elle appartient pourtant. Elle planche, depuis 1999 (juste après la chute du mur de Berlin et la fin du Pacte de Varsovie), sur la mise en place de sa propre structure de défense, complémentaire de celle de l'Otan affirment ses responsables, mais non moins indépendante, tant sur le plan de l'armement que du commandement. Au lendemain de la chute du mur de Berlin et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'Europe a affronté des crises successives, dont celle de l'ex-Yougoslavie qui culmina avec la guerre des Balkans. Il a fallu l'intervention des forces aériennes de l'Otan (principalement la chasse et les bombardiers américains) pour mettre un terme à l'agression serbe en Bosnie et au Kosovo. La défense européenne L'UE avait pris conscience de sa quasi-dépendance en cas de force majeure, des forces de l'Otan, sous contrôle névralgique des USA(tous les commandements des états-majors sont détenus par les Américains.) L'UE prend alors la décision, lors du Conseil européen de Cologne (3 et 4 juin 1999), de se doter d'une force armée propre: «Les dirigeants de l'UE sont déterminés à voir l'Union jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. A cette fin, nous, chefs d'Etat et de gouvernement, avons l'intention de doter l'Union européenne de moyens et capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. L'Union doit disposer d'une capacité d'action autonome soutenue par des forces militaires crédibles, avoir des moyens de décider d'y recourir et être prête à le faire afin de réagir face aux crises internationales, sans préjudice des actions entreprises par l'Otan» affirme le communiqué final de cette rencontre au sommet. Six mois après, lors du Sommet d'Helsinki de décembre 1999, les mêmes chefs d'Etat se fixent un objectif et des délais pour construire une force commune. Sous le nom «d'Objectif global d'Helsinki», le projet visait, à l'horizon 2003, la mise sur pied d'un corps d'armée de 50 à 60.000 hommes, «doté de capacités nécessaires de commandement, de contrôle et de renseignement, de la logistique et d'autres unités d'appui au combat, ainsi que d'éléments aériens et navals» déclare la résolution finale. En mai 2003, lors du Conseil affaires générales et relations extérieures, il est déclaré, solennellement: «L'UE dispose maintenant d'une capacité opérationnelle couvrant tout l'éventail des missions fixées en 1999.» mais il faudrait que l'Union structure davantage ses forces militaires et, surtout, mette en place le cadre politique adéquat pour une politique de défense commune. Suivront diverses rencontres et débats qui aboutiront, lors du Conseil européen de juin 2004, à l'adoption du plan de «l'Objectif global 2010». Le but étant à ce que les Etats membres soient «en mesure, d'ici à 2010, de réagir par une action rapide et décisive, en appliquant une approche totalement cohérente à tout l'éventail des opérations de gestion de crises relevant du traité de l'Union.» Parmi les hypothèses de planification stratégique, l'UE identifie cinq scénarios types: la séparation des parties en conflit par la force; la stabilisation, la reconstruction et avis militaires aux pays tiers; la prévention des conflits; les opérations d'évacuation et d'assistance aux opérations militaires. En 2007, l'exemple des groupements tactiques A partir de ces scénarios, des options militaires ciblées ont été définies dans le cadre d'une planification rigoureuse. Un catalogue des besoins a été recensé, et chaque Etat a présenté sa contribution en hommes et matériels pour la défense commune. Le travail de coordination mené par l'état-major de l'UE (Emue) et l'Agence européenne de défense (EDA) tente d'asseoir la conception de l'Union sur le long terme, d'assurer l'intéropérabilité des forces et de répondre immédiatement à toute urgence. Il en est ainsi de la force de réaction rapide. Les Etats membres sont engagés à fournir, dès janvier 2007, les effectifs et matériels nécessaires, appelés «les Groupements tactiques» (GT). L'UE vient d'annoncer qu'elle disposerait, dès le mois prochain donc, au sein de la force de réaction rapide, de deux GT qui permettent de mener deux opérations militaires simultanées. Le GT est «constitué d'une force interarmées de la taille d'un bataillon (1500 militaires) et renforcé par des éléments d'appui tactique et de soutien logistique du combat» stipule le document du secrétariat du Conseil de l'UE. Sa mise à disposition n'excède pas les 5 à 10 jours, la durée de ses missions varie de 30 à 120 jours et peut intervenir hors de l'UE. Tout en se dotant des instruments pour une défense et une sécurité propres, l'UE répète que cet objectif est complémentaire aux forces de l'Otan (en soi déjà considérables). Ce qui est défini comme l'Occident, se pourvoit de forces militaires communes structurées pour protéger ses valeurs, son mode de vie et de pensée (civilisation occidentale?). Ces valeurs et ce mode de pensée, identifiés comme le socle sur lequel sont bâtis la démocratie et les droits de l'homme, sont sacralisés et l'Occident est prêt, non seulement à les défendre, mais aussi à les imposer comme modèle politique aux récalcitrants. L'Irak, la Palestine, le Liban...en savent quelque chose. La mondialisation économique, dans sa vision libérale et néolibérale, n'est plus un choix des peuples. C'est une fatalité historique mondiale. Dans cette lutte acharnée pour l'espace vital futur des nations occidentales, la bataille est engagée entre une Europe unie, encore en construction, et les USA, premiers bénéficiaires de la fin de la guerre froide, et principaux héritiers (propriétaires) de l'Otan. L'UE l'a compris et elle se construit une défense pour sortir, en particulier sur le plan international, du diktat américain. Quant au reste du monde, à l'exemple des pays du Sud méditerranéen, ont-ils le choix entre le projet de GMO américain et la PEV des Européens? Valent que valent ces deux grands projets politiques et économiques, il n'en reste pas moins qu'ils sont présentés comme deux alternatives différentes en apparence, alors qu'ils sont identiques au fond: le modèle libéral mondialisé. Pour toutes ces raisons, les pays du reste du monde, et pour ce qui nous concerne, les pays du Sud méditerranéen, n'ont d'autre alternative que de faire appel à l'intelligence diplomatique, l'efficacité des alliances, la justesse des choix politique et économique sur le long terme...Cela ne peut être qu'en bâtissant de vrais régimes démocratiques. Sinon, le «gouvernement mondial» qui se profile à l'horizon, ne nous laissera aucune chance d'être heureux.