A fortiori, il est économiquement plus recevable de traiter avec les opérateurs économiques qu'avec l'Ugta. Les organisations patronales sont frustrées. La nouvelle politique industrielle, en attente d'un blanc-seing, provoque une grosse polémique et risque d'être sujet de dispute et de division entre le gouvernement et le patronat. Conviés, hier, au centre de presse d'El Moudjahid pour un débat autour de cette question, les patrons se sont insurgés contre ce qu'ils qualifient «d'attitude unilatérale» des pouvoirs publics. Ce projet, contesté dans l'oeuf, a suscité un véritable coup de sang chez les opérateurs économiques qui se disent les premiers concernés par ce dossier. La vice-présidente de la Confédération algérienne du patronat (CAP) a été la première à avoir apporté des critiques acerbes aux artisans de ce qu'elle appelle «la pensée unique». Mme Hassam ne s'est pas montrée si légère sur le sujet. La vice-présidente de la CAP souhaitait que le gouvernement révise sa copie et remette le projet au point zéro. C'est-à-dire, le soumettre à une concertation multilatérale, comme cela a été le cas pour l'élaboration du Pacte national économique et social. Et, a fortiori, il est économiquement plus recevable de traiter avec les opérateurs économiques qu'avec l'Ugta. Ce syndicat avait déclaré qu'il était détenteur, d'ores et déjà, d'une copie du projet. Véritablement, c'est le monde à l'envers! Abdelhamid Temmar, ministre des Participations et de la Promotion des investissements avait révélé les grands axes de la stratégie industrielle. Le document devra être traité lors du prochain conseil de gouvernement. Visiblement ulcéré, Mohand Saïd Naït Abdelaziz, président de la Confédération nationale du patronat algérien (Cnpa), ira jusqu'à supposer un effet dit «économie de bazar». Car, d'après lui, on ne peut «accoucher» aussi prématurément d'une stratégie industrielle sans une moindre séance de concertation avec les concernés. Celle-ci, à en croire le patronat, devra tenir compte des conditions économiques et des attentes de l'entreprise algérienne. Ensemble, les patrons font bloc contre la mouture du gouvernement. Le ministre des «privatisations» avait expliqué que la nouvelle stratégie industrielle est censée «ériger l'Algérie en centre compétitif, efficace et générateur d'une importante valeur ajoutée». Cela se fera, d'après la philosophie d'Abdelhamid Temmar, «à travers l'amendement du système économique, le développement des ressources humaines et un meilleur aménagement du territoire». Ce n'est pas tout, il s'agit aussi d'une «restructuration profonde des infrastructures industrielles existantes et des potentialités que recèlent les opérateurs économiques». L'Etat, quant à lui, s'offre la mission d'une intervention efficace et flexible. Cette politique a aussi pour objectif la mise sur pied de pôles industriels ciblant des secteurs jugés intégrateurs. Encore un retour à la planification, tandis que le mode opératoire demeure flou. Les mises au point s'enchaînent. L'ex-ministre des PME et actuel membre du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Rédha Hamiani, brosse un tableau à couleur grisaille sur l'état du secteur de l'industrie. «L'Algérie s'enfonce de plus en plus dans l'économie de la manne pétrolière», a-t-il fait remarquer d'emblée. Durant les cinq dernières années, l'on a assisté, à en croire l'orateur, à une véritable désindustrialisation. Chiffres à l'appui, la part de l'industrie en termes de production a été de 18% en 2000. Ce taux est de 6,8% seulement à l'heure actuelle. Une chute libre provoquée par la fermeture de plusieurs entreprises et la cession d'autres, parfois «au dinar symbolique». Un premier désaveu pour Temmar, le «père des privatisations.» La désindustrialisation est aussi l'effet direct d'une perte aggravée des parts de marché. La conséquence: le volume des importations est passé de 10 milliards de dollars en 2000 à 20 milliards en 2006. Pis, parmi les 493 entreprises qui nécessitent une mise à niveau, seulement 250 ont été diagnostiquées, tandis que 115 sont soumises à la machine grippée de mise à niveau. Comment peut-on donc réussir une nouvelle stratégie industrielle si l'on n'arrive même pas à dépanner le moteur de mise à niveau? C'est la question que se pose Sid-Ali Abdelaoui de la Confédération générale des entrepreneurs algériens (Cgea). Ce dernier ne se désespère, aucunement, de voir le patronat inséré dans la besogne de mise en oeuvre. Le dialogue entre le gouvernement et le patronat devra se nouer de nouveau. Car, aux yeux du patronat, cette nouvelle stratégie industrielle, aux contours toujours flous, pourrait engager l'avenir de l'entreprise algérienne sur une seconde piste de crise. Demeurent plusieurs autres interrogations sans réponse. A-t-on diagnostiqué l'état des filières industrielles existantes? Quel est le modèle d'industrialisation à appliquer? S'agit-il d'une seconde étape de privatisation? A-t-on pris en compte les conditions nécessaires à l'essor des entreprises nationales? Sont-elles, après tout, en mesure d'affronter la concurrence étrangère et, par ricochet, s'investir dans l'exportation? Les experts et opérateurs économiques opposent leur veto et exigent une concertation multilatérale.