Les 350 gérants de ces foyers étaient en majorité des anciens militaires de l'armée coloniale. Hier, la Sonacotra a changé de nom. Pourtant ce nom restera à jamais comme une blessure dans la douloureuse mémoire de l'immigration algérienne en France. Créée en 1956 par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, la société s'appelait alors Sonacotral (Société nationale de construction pour les travailleurs algériens). Les industriels français y étaient actionnaires à hauteur de 43%. C'était davantage sur leur demande pressante que l'Etat français a lancé le projet. La France qui se relevait de la guerre était en plein chantier et avait un besoin urgent de main-d'oeuvre qu'elle a été recruter ou plus exactement réquisitionner dans les villages de l'Algérie colonisée. Plus d'un million d'Algériens s'entassaient dans des bidonvilles sordides dans les années 50. Pour les patrons français, il s'agissait de les loger à proximité des lieux de travail et de leur donner des conditions minimales mais suffisantes à un meilleur rendement. Ce fut fait en janvier 1959; le premier foyer est inauguré à Argenteuil dans le Val d'Oise pour les immigrés algériens. Des petites chambres, une cuisine commune, des douches sommaires, c'était là l'espace où ces hommes privés de leurs familles allaient passer leur vie et certains y mourir. Les Algériens étaient enregistrés FM, français musulmans, autrement dit, sans nationalité propre. Films et ouvrages ont décrit cette vie rythmée par les trois-huit, par l'isolement, par les rigueurs d'un règlement intérieur qui devenait progressivement répressif. Les 350 gérants de ces foyers étaient, en majorité, des anciens militaires de l'armée coloniale. C'est dire la nature des relations qu'ils avaient avec les résidants soumis à leur arbitraire et leur mépris. Dans les années 70, les foyers deviennent des ghettos de la misère; les bâtiments se délabrent et les conditions de vie des résidants se dégradent. La Sonacotra, ainsi rebaptisée depuis l'indépendance de l'Algérie, augmente les loyers. En 1975, les immigrés déclenchent alors une grève qui deviendra un symbole de la lutte des étrangers contre l'injustice et aujourd'hui considérée comme l'expérience fondatrice du mouvement des sans-papiers. Les grévistes, en majorité des ouvriers algériens aguerris par des expériences syndicales, exigent la reconnaissance des comités de résidants élus, le statut de locataire et les droits y afférents ainsi que l'annulation de l'augmentation des loyers. Le bras de fer dure des années. 500 résidants seront expulsés, fait qui soulèvera l'indignation des syndicats. La Sonacotra ne reconnaîtra pas le droit de titre de logement aux résidants. Dans les années 80, ces foyers deviennent la cible de l'extrême droite qui les revendique pour les Français démunis lésés au profit des étrangers, selon le discours du Front national, entre autres. Des attentats sont commis contre des foyers à Nice, en 1988, par des groupuscules fascistes. Aujourd'hui, les seuls Algériens qui y vivent encore sont de vieux retraités qui viennent d'Algérie pour des soins médicaux. L'immigration algérienne ayant évolué, les lieux sont plutôt occupés par des Français et des étrangers sans ressources. La Sonacotra a troqué sa méchante dimension de marchand de sommeil pour une activité de logement social avec l'aide, ces dernières années, d'associations dont celle de l'abbé Pierre. Sonacotra n'existe plus depuis hier, mais elle subsistera dans l'histoire des Algériens qui ont perdu leur jeunesse entre les murs oppressants chargés des angoisses et des rêves de liberté de tant de nos grand-pères et de nos pères.