C'est un coup de Jarnac porté à la construction maghrébine, déjà sérieusement lézardée. Quelle mouche a piqué Maâmar El Gueddafi d'établir un visa pour les ressortissants des pays maghrébins, lui qui a été champion de toutes les unités, jouant la partition sur tous les instruments. Après avoir prôné l'Unité arabe, puis maghrébine, et enfin africaine, n'est-il pas l‘initiateur de la toute récente reconversion de l'OUA en Union africaine, et ne vient-il pas de faire annoncer que la djamahiria s'apprêtait à investir plus de trois milliards de dollars en Afrique. Et voilà que juste après, il surprend tout le monde, en annonçant, coup sur coup, l'établissement du visa pour tous les étrangers sans exception, ainsi que l'expulsion de tout travailleur immigré en situation irrégulière, sans compter le licenciement de 40% des fonctionnaires. Si ce n'est pas un tour de vis, ça, c'est qu'on n'y connaît rien. Pour ce qui concerne les visas, il faut savoir que l'information a été faite par le ministre Salah Rajab, en marge d'une réunion des ministres arabes de l'Intérieur à Tunis. Concrètement, la décision stipule que tout étranger souhaitant entrer en Libye devra prochainement être muni d'un visa, y compris les ressortissants d'Algérie, du Maroc, de Mauritanie, de Tunisie et d'Egypte, jusqu'à présent épargnés par cette mesure. En clair, les pays faisant partie de l'Union du Maghreb arabe (l'UMA), ne bénéficient plus d'un traitement de faveur, même si le ministre libyen de l'Intérieur déclare que la procédure de visa ne contrevient pas aux dispositions du traité de l'UMA. On peut rester dubitatif, car même si ledit traité adopté à l'unanimité à Marrakech en 1989 reste silencieux sur la question, toujours est-il que l'esprit de l'UMA va dans le sens d'un renforcement des relations entre les cinq pays, alors que des clauses du traité encouragent l'adoption de mesures facilitant la libre circulation des personnes, allant jusqu'à proposer l'établissement d'une carte d'identité maghrébine. Dire le contraire aujourd'hui, c'est s'inscrire en porte-à-faux par rapport à l'esprit des pères de l'UMA, dont Maâmar El Gueddafi fait partie. Quelle motivation donne M. Rajab pour justifier cette procédure de visa qui s'applique désormais aux pays membres de l'UMA, ainsi qu'à l'Egypte? Il s'agit pour lui de lutter contre l'immigration clandestine, qui, ajoute-t-il, «peut avoir des conséquences désastreuses et provoquer le chaos, et pour permettre à ceux qui veulent entrer en Libye pour y travailler de disposer d'un contrat de travail clairement établi». Au niveau interne, le gouvernement libyen a présenté, samedi, au Congrès général du peuple (Parlement) un projet de budget de 24 milliards de dollars pour 2007, prévoyant le licenciement de 40% des employés du secteur public. Le Premier ministre, Baghdadi Mahmoudi, a souligné la nécessité de licencier 400.000 fonctionnaires, sur un million que compte le secteur public; en précisant que trois ans de salaire seront déboursés pour chaque fonctionnaire licencié, alors que des crédits pouvant atteindre 43.000 dollars seront octroyés à ceux désirant monter leur propre affaire. Pour information, le pétrole représente 94% des exportations de la Libye, 60% du budget de l'Etat et 30% du produit intérieur brut. Ces mesures de dégraissage et d'austérité intérieurs ont certainement quelque chose à voir dans le soudain protectorat d'El Gueddafi, qui finit par tourner le dos à tous ses mots d'ordre unionistes. Pour ce qui concerne l'UMA proprement dite, il est certain que ce brusque tour de vis libyen portera un coup sérieux à la construction de l'UMA, dont les instances sont pratiquement gelées depuis 1994. Entre l'Algérie et le Maroc, les frontières terrestres demeurent fermées malgré la suppression des visas depuis deux ans maintenant. L'édifice maghrébin, déjà sérieusement lézardé, se relèvera difficilement de ce dernier coup de boutoir, et de nombreux Algériens, dont le nombre est estimé à environ 20 000, qui ont l'habitude d'aller travailler en Libye, sont mis devant le fait accompli. Ce cadeau empoisonné de début d'année 2007, qui arrive en même temps que l'adoption de la loi de finances en Libye, ne facilitera sûrement pas leurs affaires. De façon générale, on estime à un million le nombre de travailleurs étrangers en Libye. Seront-ils reconduits à la frontière? Et expulsés manu militari? Se verront-ils refoulés à la frontière lorsqu'ils reviennent de vacances de leur pays d'origine? Tout ce qu' on peut dire, c'est que l'UMA, qui a été un rêve, voire un idéal pour de nombreux ressortissants maghrébins, se relèvera difficilement de ce nouveau coup de Jarnac?