Qui connaît Nedjma de Kateb Yacine? -Tout le monde!...Qui a lu Nedjma?- Pas tout le monde. Pure boutade que cela, évidemment, d'autant qu'il n'est pas question de mettre à qui a, qui que ce soit. Mais le fait est là: personne n'est pourtant le dernier à en parler pour assurer -tel Arrias-, sa brillante carrière d'«homme universel». Par le temps qui court, il faut bien ouvrir commerce à l'enseigne de l'intellectuel que l'on est censé être, car il y a du pain sur la planche et l'on pense que la nature humaine, trop naïve peut-être ou faute de mieux, s'émerveille obligeamment d'une nourriture inspirée, hélas, scandaleusement de tous les prétextes qui donnent de la valeur à ce qui n'en a point. Aussi, dois-je dire combien me semblent sincères, combien honnêtes, combien intéressantes les «interprétations» que nous propose l'universitaire Ismaïl Abdoun dans son ouvrage Lecture(s) de Kateb Yacine. Il a le sens du respect du texte étudié, ici tout Nedjma, et du lecteur que chacun de nous est, potentiellement. S'agissant d'une réédition «actualisée et augmentée», il précise avec gêne: «Dans la mesure du possible, nous avons essayé d'éviter le langage académique trop technique afin de faciliter au maximum la lecture, pour un large public, d'un auteur réputé difficile - sans brader toutefois une certaine rigueur nécessaire dans ce type de travail, malgré tout d'un universitaire.» C'est justement ces mises en garde, multipliées, diverses et variées, qui ont le plus créé une sorte de panique qui pousse au refus de lire Nedjma, encore aujourd'hui. Les éditeurs de Nedjma, en 1956, les critiques de l'époque, les analyses universitaires dites spécialisées, souvent compliquant la relation avec Nedjma en rajoutant des difficultés qui désorientent et découragent, l'école n'enseignant pas la lecture et moins encore le plaisir et l'intérêt de lire, les lecteurs occasionnels et laudateurs frivoles de l'oeuvre générale de Kateb Yacine, forçant sur leur gloire de bien la connaître, y sont pour beaucoup. Ismaïl Abdoun vient, avec humilité, sans orgueil d'universitaire, apporter de la clarté dans ce qui pourrait paraître difficile à comprendre dans Nedjma. Il aide le lecteur à «décrypter» l'oeuvre par le moyen le plus simple: lui faire connaître l'auteur. Eveillant ainsi sa curiosité, il l'oriente, l'installe dans une attitude favorable à «apprendre» pour «comprendre», finalement pour découvrir l'auteur et le plaisir de le lire. Abdoun rejoint en cela, tout bénéfice pour le lecteur, les rares auteurs qui ont bien connu Kateb et qui ont déjà offert des ouvrages pleins de fraîcheur et d'enseignement sur une oeuvre marquante de la littérature algérienne. Resterait-elle encore difficile à lire que Nedjma aurait donc été écrite pour apprendre à penser sérieusement en s'instruisant, en dépassant la fatalité de l'incertitude dans un monde où tout converge vers la réalité d'un passé, d'un présent et d'un futur déjà proche. Lecture(s) de Kateb Yacine est une oeuvre qui véhicule une possibilité d'ouverture de l'esprit à comprendre ce qu'il y a de profond dans Nedjma, et avant tout ce qu'il y a de profond chez Kateb Yacine lui-même, ainsi que le rappelle Ismaïl Abdoun. L'ouvrage comprend une longue et bonne introduction pour expliciter trois énoncés essentiels (le lyrique, l'historique et le mythique) de Nedjma, des lectures analytiques relatives aux différentes variantes induisant l'unité du personnage central (Nedjma), un choix de textes caractérisant tout particulièrement l'auteur de Nedjma et un dossier bien fourni en déclarations et entretiens de Kateb Yacine, -ce qui n'est pas inutile pour contribuer honorablement à la commémoration du 50e anniversaire de la publication de Nedjma dont on entend la sonorité fondamentale: la voix humaine de l'Algérie.