Dans un entretien au journal Le Monde, Aussaresses avoue l'exécution de Larbi Ben M'hidi. Quelle mouche a donc piqué le général français à la retraite pour passer aux aveux. Des remords? Libérer sa conscience, sentant sa mort proche? Espère-t-il une clémence? Et par qui? Surtout pas de la part des Algériens. Aussaresses n'a jamais eu la conscience tranquille, cela se confirme. La pression était sans doute trop forte. «La pourriture» a avoué son crime dans le souci de libérer sa conscience. Une conscience torturée par l'acte abject, innommable commis sur «un seigneur», un seigneur de la guérilla, un seigneur tout court, issu du tréfonds du coeur d'une Algérie colonisée, martyrisée. L'histoire possède de ces retours de manivelle que l'humain ne maîtrise pas. Aussaresses est passé aux aveux. Pourquoi? Quelle raison a-t-elle poussé ces militaires français, officiers de haut rang de surcroît, à tomber les masques. Pensent-ils qu'il existe encore en eux un brin d'humanisme, eux qui ont agi en bêtes sauvages assoiffées de sang, du sang des Algériens, du sang de Didouche, Zighoud, Amirouche...et de Ben M'hidi. Des hyènes enragées. Ils ne connaîtront que la honte, quant à l'histoire, il se trouvera bien une poubelle qui se chargera de les accueillir. Aussaresses est passé aux aveux. Ben M'hidi a juré de torturer sa conscience et d'éclabousser de son sang le pouvoir politique français mouillé jusqu'au cou dans cette affaire. Nous l'avions bien dit, c'est un homme d'exception, si généreux, si attachant, cultivé et amoureux du théâtre de Berthold Brecht. Il a livré son ultime combat d'outre-tombe. Il a fait craquer la pourriture, montré le vrai visage de la France coloniale, de son armée, fleuron des vestiges d'un empire colonial perdu. Ben M'hidi, jusque dans la mort, jusque dans le martyre aura contribué à faire avouer ses crimes à une France coloniale qui n'aura ni à se glorifier de ses campagnes militaires dans le monde ni a glorifier les bienfaits de sa présence en Algérie. Le vrai visage de la présence coloniale est mis à nu pour ceux qui continuaient à avoir encore un semblant de doute. Ils peuvent faire voter toutes les lois qu'ils veulent, ressusciter celle du 23 février, mobiliser tous les fascistes du monde, tous les nostalgiques de l'Algérie française, un rempart s'est dressé devant eux, il s'appelle Ben M'hidi, il est là pour témoigner des horreurs commises par l'armée coloniale et ses supplétifs. La France a ses harkis, l'Algérie gardera ses héros. Ben M'hidi a fait trembler Aussaresses, même dans ses rêves, plutôt dans ses cauchemars agités. On le voit d'ici, réveillé en sursaut, le souffle coupé, au bord de l'asphyxie, tremblant de tout son corps, tout en sueur, il appuie sur l'interrupteur, la lumière s'allume, elle éclaire sa chambre devenue un moment sa salle de torture, il pousse un «ouf» de soulagement...ce n'était qu'un cauchemar. Depuis, combien de nuits, de mois, de jours, d'années cela dure-t-il? Depuis que Ben M'hidi lui a lancé à la figure «pourriture», depuis qu'il a opposé à son bourreau, à l'arrogance d'Aussaresses, sûr de son geste ignoble, la dignité d'un homme, d'un Algérien qui a juré de ne pas mettre un genou à terre devant l'ennemi, pas même devant la mort. Les yeux bandés de force, ses bourreaux ont refusé d'affronter son regard et ont accompli leur sale besogne. La Mitidja, triste linceul de son âme suppliciée, a accueilli et enveloppé son silence, le silence d'un de ses meilleurs fils qui, de là où il est, d'outre-tombe continue de torturer la conscience de ses bourreaux.