Le retrait israélien des territoires arabes occupés en 1967 est une vieille revendication arabe qui, pour l'heure, n'a pas eu d'écho. L'initiative du prince héritier saoudien Abdallah Ben Abdelaziz n'apporte, en vérité, aucune nouveauté de fond s'il n'y avait le fait qu'elle intervient à un moment psychologique du conflit israélo-palestinien marqué par la lassitude de la communauté internationale prisonnière du tabou antisémite, paralysant toute action sommant Israël d'appliquer les résolutions de l'ONU sur le contentieux proche-oriental. Dès lors, l'initiative saoudienne, qui ne fait que reprendre à son compte les principes de base des résolutions 242 et 338 de l'ONU de la conférence de Madrid de 1991 et des accords intérimaires israélo-palestiniens d'Oslo - qui exigent d'Israël l'évacuation des territoires occupés en 1967 de même que l'instauration de la paix selon le principe de l'échange des terres contre la paix-, est perçue comme une bouée de sauvetage qui permet aux uns et aux autres de reprendre pied dans un dossier laissé, à la seule appréciation des Israéliens fortement appuyés par les Américains. Aussi, la déclaration du prince héritier saoudien, Abdallâh Ben Abdelaziz, au quotidien New York Times, continue-t-elle de susciter maintes analyses et interrogations quand aux soubassements d'une proposition - reconnaissance collective arabe de l'Etat hébreu, contre un retrait d'Israël des territoires arabes occupés - où les non-dits semblent plus révélateurs que ce que dit le prince Abdallâh explicitement. Cependant, cette déclaration aura agi comme un déclic sur une communauté internationale tétanisée et maintenue, depuis trop longtemps, par l'arrogance israélienne, à l'écart d'un dossier dont les tenants et les aboutissants sont connus de tous. Aussi, la proposition du prince héritier saoudien est-elle devenue soudainement «le» document de travail des chancelleries et des organismes internationaux soucieux de trouver une solution au dossier palestinien. Ou comment habiller de neuf une vieille revendication arabe et internationale. Après un moment de flottement, les pays arabes ont ajusté leurs positions en soutenant une initiative qui, à défaut d'être un sésame, a surtout le mérite d'exister, tout en permettant aux Arabes de sortir, quelque peu, de leur longue torpeur. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, ne s'y est pas trompé en accueillant favorablement la déclaration du prince héritier saoudien, lequel semble, déjà, se projeter sur le prochain sommet arabe de Beyrouth, prévu à la fin de ce mois, et où sera soumise l'initiative princière saoudienne. Toutefois, il convient de relever qu'une fois de plus les Arabes se sont fait surprendre à ne pas s'assumer sur la question palestinienne. L'Intifadha palestinienne en est à son dix-huitième mois avec son cortège de morts (des centaines de victimes palestiniennes), de destructions des infrastructures par l'armée israélienne, par la disqualification par Sharon de l'Autorité autonome palestinienne. En outre, un président arabe (le président palestinien Yasser Arafat) entame son quatrième mois de mise en résidence forcée par l'armée israélienne sans qu'il se trouve un seul chef d'Etat arabe qui monte au créneau pour ne serait-ce que dire que la politique de la force employée par Sharon (soutenue par le président Bush) est contre-productive et à tout le moins ne constitue pas le meilleur chemin qui mène à la paix. La politique d'attentisme a largement montré ses limites, c'est, à n'en pas douter, la raison qui fait que la proposition saoudienne, quoiqu'elle n'innove en rien, ait rencontré un écho aussi favorable tant parmi les Etats arabes que, plus généralement, auprès de la communauté internationale. De fait, comme à leur habitude, les Israéliens, après un moment de doute, se sont vite ressaisis, pour exploiter à leur manière l'offre saoudienne, et ce, en invitant le prince Abdallâh à venir à Tel-Aviv expliquer son plan de paix. Fidèle à sa conception de la paix, fondée sur le cas par cas avec les Etats arabes, les Israéliens n'ont donc pas manqué l'occasion d'essayer de retirer l'Arabie saoudite du «champ de bataille» en concluant avec elle un traité de paix comme cela avait été réalisé avec l'Egypte et la Jordanie. Alors que les Arabes ont toujours réclamé une solution globale du contentieux proche-oriental, Israël, soutenu par les Etats-Unis, s'en tient donc au cas par cas et aux accords de paix séparés divisant ainsi un peu plus les Arabes plus enclins à défendre leurs intérêts particuliers que celui général du monde arabe. Maintenant, pour revenir au document du prince héritier saoudien, il convient de noter que celui-ci est axé sur un désengagement total d'Israël des territoires arabes et singulièrement palestiniens. Or, connaissant l'opposition définitive de l'actuel Premier ministre israélien, Ariel Sharon, à l'érection d'un Etat palestinien indépendant et au processus de paix d'Oslo, le seul intérêt que Tel-Aviv puisse trouver à l'initiative saoudienne, c'est encore d'ouvrir une brèche et d'entreprendre des négociations avec l'Arabie Saoudite. D'où l'invitation du président israélien Katzav au prince héritier Abdallâh à venir présenter son plan devant la Knesset. Aussi, cette ouverture israélienne s'apparente à une manoeuvre de plus alors même que le problème aujourd'hui est de savoir si l'Etat hébreu est prêt à évacuer les territoires palestiniens conformément aux résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, et à accepter de cohabiter avec un Etat palestinien indépendant. Le reste n'est, en fait, qu'argutie diplomatique de peu d'effet sur le cours des événements au Proche-Orient tant qu'Israël, soutenu par le veto américain, impose son diktat à toute une région. Des centaines de vies humaines, autant palestiniennes qu'israéliennes auraient été épargnées, si Washington n'avait pas opposé son veto à la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU prévoyant le déploiement d'une force d'interposition internationale entre les belligérants israéliens et palestiniens. En vérité tant que la communauté internationale est impuissante à faire se conformer Israël, comme elle le fit en 1991 pour l'Irak, il serait vain d'espérer voir le conflit israélo-palestinien connaître une issue juste et équitable pour les deux parties.