Les dernières déclarations du prince héritier saoudien, Abdallah Ben Abdelaziz, évoquant une reconnaissance collective d'Israël par les Arabes en échange de son évacuation des territoires arabes, suscitent commentaires et analyses. Reconnaître Israël, est-ce réellement là, aujourd'hui, le fond du contentieux proche-oriental? N'est-ce pas, quelque part, contourner le problème, ou, à tout le moins, le prendre du seul point de vue de l'Etat hébreu, alors même que tout au long de ces dernières années les Arabes avaient donné maints gages de leur disponibilité à accepter l'existence d'Israël dans cette région du monde ? Sans réel répondant de la part de l'Etat hébreu, constamment exigeant à chaque concession arabe, sans que, de son côté, il eût fait le pas, toujours, attendu de lui. Les traités de paix israélo-égyptien (1979) et israélo-jordanien (1994), l'établissement des relations diplomatiques entre la Mauritanie et Tel-Aviv (1998), l'existence de bureaux de liaison entre Israël et nombre de pays arabes, les échanges commerciaux avec d'autres ne sont-ce pas là des garanties probantes montrant la disponibilité arabe à aller encore plus loin? Une reconnaissance globale et une normalisation collective des relations arabes avec l'Etat hébreu pour peu que ce dernier remplisse lui-même ses propres obligations envers le peuple palestinien et la paix dans cette région? Depuis la conférence internationale de Madrid sur le Proche-Orient de 1991, suivie des accords intérimaires d'Oslo en 1993 entre l'Etat hébreu et l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et l'établissement en mai 1994 de l'Autorité autonome palestinienne, les concessions ont été exclusivement du fait des Arabes, alors qu'Israël demande toujours plus sans pour autant honorer ses obligations prévues par les accords d'Oslo dans le cadre du processus de paix israélo-palestinien. Or, la paix induite par les accords israélo-palestiniens, qui devaient au bout de cinq ans (5 mai 1999), donner naissance à l'Etat palestinien, loin d'inciter les dirigeants israéliens à consolider cet acquis qui assurait la sécurité pour le peuple hébreu, avait au contraire aiguisé leur appétit. C'est ainsi que les Israéliens ont commencé dès 1995 à mettre des obstacles à la mise en oeuvre du processus de paix, revenant même sur le principe fondateur des accords intérimaires, les territoires contre la paix, entre les deux parties israélienne et palestinienne. Ayant goûté aux bienfaits de la paix, les Israéliens voulaient ainsi la paix tout en conservant les territoires, tout en prétendant normaliser leurs relations avec les pays arabes. Ce rappel s'imposait pour remettre les déclarations du prince héritier saoudien dans leur véritable contexte qui est celui du Proche-Orient. Depuis au moins une décennie, les Arabes ont démontré de toutes les manières leur disposition à normaliser leurs relations avec l'Etat hébreu, sous réserve que ce dernier fasse, de son côté, ce qui était attendu de lui: l'évacuation totale des territoires arabes et palestiniens conformément d'une part aux résolutions de l'ONU, singulièrement les résolutions 242 et 338, et, d'autre part l'application dans leur totalité des accords d'Oslo. Or, depuis le gel en 1995 du processus de paix, par le chef du gouvernement israélien Benjamin Netanyahu, la balle a toujours été dans le camp israélien. C'est son irrédentisme qui a faussé tous les calculs pour parvenir à établir la paix entre les Arabes et les juifs. A telle enseigne que l'on se demande si l'Etat hébreu a jamais été prêt à assumer la paix avec ses voisins arabes? Aussi, est-il vraiment pertinent d'évoquer, en ce moment précis où les Palestiniens se font massacrer, une normalisation collective arabe avec Israël, quand le Premier ministre israélien en poste, Ariel Sharon, n'envisage pas d'autre avenir pour les Palestiniens que celui de les embastiller dans des bantoustans sous haute surveillance militaire ? Quand ce même Sharon décide, au mépris total des lois internationales, de mettre hors circuit le président élu de tous les Palestiniens: Yasser Arafat? Alors même que Sharon se montre arrogant et veut écraser un peuple qui lutte pour ses droits spoliés par l'occupant israélien, des responsables arabes en sont encore à essayer d'entrer dans les bonnes grâces des Américains qui, par ailleurs, assurent l'impunité totale d'un Etat qui a en point de mire un peuple désarmé. Alors qu'un silence radio est observé par les Israéliens et les Américains à propos de la déclaration du prince Abdallah, faite dimanche au New York Times, chez les Arabes les avis sont plutôt partagés. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, appuyant, sans surprise, le prince héritier, a affirmé: «Les déclarations du prince Abdallah sont un message très clair des Arabes, qui signifie que c'est Israël qui retarde la paix, et que les Arabes sont prêts à la paix» Certes ! Mais ce n'est pas l'avis du vice-président du centre Al Ahram d'étude stratégique du Caire, Walid Abdel Meguid, qui estime que «cette proposition ne fera qu'affaiblir et rendre plus confuse la position des Palestiniens et des Arabes» et ne fera que conforter la politique actuelle de Sharon «qui sera le vainqueur». Pour la presse saoudienne en général, qui soutient la déclaration du prince héritier, Riyad teste ainsi «la volonté de paix d'Israël et des Etats-Unis» Cependant tout cela demeure du domaine de la spéculation, sans profit pour la paix, tant que les Israéliens continuent de bénéficier de la mansuétude de la communauté internationale, quand Tel-Aviv a fait, le plus officiellement du monde, des assassinats ciblés de Palestiniens, l'axe principal de ses tentatives de mater la révolte palestinienne. La paix au Proche-Orient ce sont d'abord l'évacuation par Israël des territoires arabes occupés et l'érection de l'Etat palestinien indépendant. Les reconnaissances mutuelles, entre Arabes et Israéliens, et tout le reste viendront après. Et c'est encore à l'Etat hébreu de dire s'il est prêt à assumer les responsabilités de la paix. La paix? Jamais sans les Palestiniens.