C'est avec la casquette du réalisateur et non du producteur, qu'il se présentera à nous, ce soir à 18h à El Mougar, escorté de ses acteurs fétiches... Premier film réalisé, non sans peine, par ce chevronné du cinéma, Bachir Derraïs, 10 millions de centimes, après de nombreuses péripéties et de bras de fer l'opposant au ministère de la Culture, tout semble rentrer dans l'ordre. Le film sort, enfin aujourd'hui, en avant-première, et il sera projeté à 18h à El Mougar sous les auspices du commissariat d'«Alger, capitale de la culture arabe» qui a financé la version arabe. Un entretien qui révèle bien les dessous de la réalisation d'un film en Algérie... L'Expression: Tout d'abord, revenons un peu sur votre film Morituri pour lequel on croit savoir que vous vous êtes endetté pour le réaliser. Peut-on en savoir plus? Bachir Derraïs: Oui, effectivement. Quand on a déposé le scénario, à l'époque, au comité de lecture, présidé par Liamine Merbah, on avait reçu l'avis favorable pour le soutien du Fdatic. Une enveloppe de 7 millions de dinars. Pour moi, on avait de l'argent. En plus des 6 millions de dinars de la Télévision algérienne et l'avance sur recettes en France. Nous étions deux producteurs, un Français et moi. Nous pensions que le budget était bouclé, sauf que la promesse du Fdatic n'a pas été tenue. D'après les nouvelles, il n'y a jamais eu d'argent dans les caisses du Fdatic, à ma connaissance. J'ai fait un prêt à la banque en pensant que j'allais avoir, plus tard, l'argent du Fdatic, afin de rembourser ce prêt. J'ai des dettes aujourd'hui mais quel producteur n'en a pas? Ce n'est pas exceptionnel, mais cela bloque d'avoir une dizaine de millions de dinars de dette, si ce n'est plus. C'est pour cela que je n'ai quasiment rien fait en Algérie. C'est la raison qui m'a poussé à travailler en France. Morituri a été réalisé en juillet-août 2004 et devait sortir un an après, n'est-ce pas appeler cela une récupération que de le placer, en 2007, sous la bannière d'Alger, capitale de la culture arabe? Je n'appellerais pas cela de la récupération. C'est l'argent du contribuable. Cet argent est donné pour financer des films. Nous, on a besoin d'argent pour faire un film, et eux, ils ont un film produit et fin prêt. Et puis, le fonds dans le cadre d'«Alger, capitale de la culture arabe» a couvert ce que le Fdatic n'a pas assuré, à l'époque. Au moment où l'on est vraiment criblé de dettes, cela tombe bien. Evidemment, cela nous arrange. 10 millions de centimes est le premier film que vous signez en tant que réalisateur. Pourquoi tout ce retard? Aujourd'hui, après plus de trois ans, vous le sortez enfin sur le grand écran... Une question d'argent, bien sûr. Quand on fait un film algérien, les étrangers ne le finance pas à 100%. Ils donnent des aides. 10 millions de centimes est un film algérien. Un film tourné en cinémascope coûte très cher. Il faut savoir aussi que j'avais les comptes de ma société chez Khalifa Bank. J'ai perdu quelque chose comme 12 millions de dinars plus les 10 millions de dinars de dette de Morituri, alors que j'avais trois projets à produire: Le Soleil assassiné, 10 millions de centimes et Morituri. Quand vous essuyez un coup pareil c'est clair qu'on est freiné. Maintenant, tout rentre dans l'ordre. Je m'en sors. On croit savoir que vous êtes actuellement en préparation de deux nouveaux films. Je suis, en effet, sur deux films: Voyage à Alger, sur lequel je suis producteur. Un film qui sera réalisé par Abdelkrim Bahloul, qui a réalisé notamment Thé à la menthe, Le Soleil assassiné. Le tournage sera entamé le 9 avril prochain. L'histoire raconte le combat d'une femme, juste après l'indépendance. Une veuve de chahid qui aura une belle maison offerte par un ancien pied-noir. Le rôle de cette femme sera campé par Souad Massi. Il y a aussi quelqu'un qui veut lui prendre la maison. Elle prend ses enfants et descend à Alger pour se plaindre au président de la République de l'époque. C'est tiré d'une histoire vraie, celle du réalisateur, quand il était petit. Souad Massi a été choisie sur la base d'un casting. Elle va aussi faire la musique du film. Le second film est une fiction sur Maâtoub Lounès. C'est une coproduction algéro-franco-anglaise. Il y aura un acteur étranger. On a pensé à Vincent Cassel... Votre film Morituri s'inscrit dans le cadre d'Alger, capitale de la culture arabe, on déduit, par là, que votre inimitié ou bras de fer qui vous opposait à la ministre de la Culture a été mis de côté. Cela a été mis de côté, il y a longtemps. C'est du passé. Moi, je ne fais pas de politique. Les malentendus, cela arrive. Khalida Toumi est ministre de la Culture. Je suis producteur. On est amené à travailler ensemble. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent. J'ai oublié cette histoire. Que pensez-vous de cet événement, Alger, capitale de la culture arabe? On s'en fout de l'appellation du moment que ce sont des fonds qui vont soutenir toute la création algérienne, sous toutes ses expressions, amazighe, francophone ou arabe. Il n'y a pas de discrimination dans aucune langue. C'est positif. J'ai produit un film de Saïd Nanache en Kabylie. C'est ouvert. En plus, les comités de lecture sont transparents, contrairement à l'Année de l'Algérie en France qui s'est distinguée par ses magouilles et copinages. Cependant, c'est dommage de voir que le cinéma ne bénéficie que de 7% en aide financière, alors que c'est le secteur le plus lourd et le plus cher, mais cela reste tout de même positif. Je suis content de voir heureux, notamment Yahia Mouzahem et Rochd Djigouadi, après avoir obtenu enfin une aide...Le problème qui se posera, si on ne le prend pas en charge tout de suite, est que tous ces films réalisés et autres ne pourront pas être vus. Ils ont été tournés avec un son spécifique. A l'exception de la salle El Mougar, les autres salles ne possèdent pas ce matériel technique. C'est honteux. L'Algérie a perdu sa position de dernier de la classe. On est derrière le mur! Même Ouagadougou, au Burkina, ils sont mieux équipés que nous. Ils ont plus de salles que nous, font plus de films que nous. A l'époque, on se comparait à la France, aujourd'hui, on n'ose même pas se comparer aux Marocains ou aux Tunisiens, tout au plus aux Ethiopiens, aux Burkinabais. On n'a rien! Qu'en est-il de l'aide octroyée par le commissariat d'«Alger, capitale de la culture arabe» pour le film 10 millions de centimes, tourné, tout de même, il y a plus de trois ans? A l'époque, j'avais privilégié la version française, puisque je n'étais pas soutenu par le ministère de la Culture. Aussi, 10 millions de centimes, faut-il le noter, je l'ai fait avec 4 milliards de dettes. Tous les acteurs qui seront là pour l'avant-première (aujourd'hui, à 18h à la salle El Mougar) coûtent cher. Aujourd'hui, c'est grâce à l'aide d'«Alger, capitale de la culture arabe» que j'ai réussi à finaliser la version arabe qui m'a coûté plus de 5 millions de dinars. C'est donc un film qui existe en deux versions. Le film avait, jadis, bénéficié du soutien du ministère français de la Culture et le CNC. Aujourd'hui, c'est équilibré. C'est Samia Meziane qui fait la voix d'Albane Fioretti dans la version arabe. Après, j'espère que le film marchera bien. Morituri, pour info, sortira en France le 27 avril et 10 millions de centimes, juste après. Il fera l'objet d'une projection promotionnelle lors du prochain Festival de Cannes.