Washington veut sanctuariser le territoire américain. L'obsession de sécurisation du territoire américain a toujours été l'un des fondements de la politique de défense et étrangère des Etats-Unis, et aussi l'une des causes profondes de la course aux armements. Ce sont les Américains qui, les premiers, ont construit et usé de la bombe atomique contre un pays tiers, le Japon, (Hiroshima et Nagasaki) en mai 1945 contraignant les autres puissances de l'époque à suivre. Ce qui a été le cas de l'Union soviétique (1949), de la Grande- Bretagne, la France et la Chine entre 1950 et 1965. Le scénario de l'après-Seconde Guerre mondiale est en train de se répéter avec la décision de Washington d'installer son système de missiles antimissile dans des pays de l'Europe orientale, au grand dam de Moscou qui ne veut pas laisser faire, d'autant plus que la Russie qui retrouve, peu à peu, la puissance qui a été celle de l'ex-Urss -avant l'effondrement du bloc communiste en 1990- entend continuer à jouer les premiers rôles dans ce qu'elle estime être toujours sa zone d'influence et de sécurité, la communauté des Etats indépendants (ex-Républiques socialistes soviétiques) et l'Europe de l'Est à l'exclusion des pays baltes. L'affaire a pris, ces dernières semaines, des proportions telles que le président Bush s'est cru devoir rassurer son homologue russe avec lequel il eut un entretien téléphonique, mercredi dernier, lors duquel Vladimir Poutine a fait part au chef de la Maison-Blanche de l'inquiétude de la Russie face au projet américain de bouclier antimissile en Europe centrale. Dans sa réponse, «le président Bush a insisté sur le fait que les systèmes de défense antimissile en Europe étaient destinés à parer la menace en pleine évolution des missiles balistiques venus du Moyen-Orient, une menace qui nous est commune avec l'Europe et la Russie», a indiqué un porte-parole de la Maison-Blanche, Gordon Johndroe. Mais il n'y a pas que la Russie qui s'inquiète de l'activité suspecte des Etats-Unis, l'Union européenne est aujourd'hui divisée entre les «pro» et les «contre» le projet américain et l'Otan où un début de polémique gagne l'entité atlantique, controverse qui s'est développée ces derniers jours entre Moscou et Washington. La Pologne, membre de l'UE et de l'OTAN, peu convaincue de la capacité de deux organisations à garantir sa sécurité a entamé des négociations avec Washington en vue de l'installation, dans ce pays, d'un silo de lancement de dix missiles d'interception sur son territoire. Par ailleurs, la construction en République tchèque d'une station radar est négociée entre Prague et Washington. Les Etats-Unis sont obnubilés par la défense de leur territoire contre la supposée menace de missiles intercontinentaux à longue portée (de plus de 5000km), défense devenue leur préoccupation majeure comme en témoigne leur activisme dans un secteur où les Etats-Unis ont été les premiers propagateurs de la prolifération des armes de destruction massive (ADM) qu'ils soient conventionnels ou atomiques. De nombreux pays disposant, aujourd'hui, de ce type d'armement, peuvent s'en procurer ou les fabriquer. Mais les Etats-Unis demeurent de très loin les plus dangereux car ils sont les premiers et seuls vecteurs de dissémination des ADM, eux qui ont été également tentés de mettre au point la défense spatiale à laquelle des centaines de milliards ont été consacrés. Selon les estimations, les Etats-Unis ont dépensé 100 milliards de dollars (valeurs 1997) de 1951 à 1997, en ont encore dépensé autant depuis dans la recherche, le développement et la mise en place de systèmes pour sanctuariser leur territoire. Dès les années 1980, le président (républicain), Ronald Reagan, avait lancé le projet de défense spatiale popularisé sous le label de «guerre des étoiles» mais jamais mené à terme, car même les Etats-Unis avec leurs prodigieuses capacités (financières technologiques et humaines) étaient incapables de conclure un tel dessein. Aussi, le projet de bouclier antimissile inquiète réellement en Europe -à leur tour, la France et l'Allemagne sont entrées dans la polémique- d'autant plus qu'au final, ce bouclier serait installé sur le territoire d'un membre de l'Union européenne. Les Américains se défendent de vouloir attenter à la sécurité de la Russie et que leur projet est «strictement» défensif. Le problème est que ce qui est aujourd'hui «défensif» peut, demain, devenir offensif avec l'apport, une fois sur place, de missiles offensifs. C'est ce que craint Moscou, d'autant plus que les bruits de bottes autour de l'Iran ne laissent pas insensible la Russie qui a élevé le ton mardi dernier, lorsque le vice-ministre des Affaires étrangères, Andreï Denissov, a réagit vivement à la pression internationale qui s'accroissait autour de l'Iran, indiquant: «Toute action militaire proche de notre frontière est inadmissible. Nous considérons cela de manière très négative et faisons tout pour nous y opposer». En clair, Moscou ne restera pas spectateur en cas d'agression contre l'Iran. Interrogé pour savoir si la Russie avait des craintes quant à des frappes américaines contre l'Iran, il a répondu «bien sûr que oui». Appuyant la déclaration du diplomate russe, le général Iouri Balouïevski, chef de l'état-major russe a, de son côté, mis en garde Washington contre toute «frappe militaire sur l'Iran» qui serait «une grave erreur politique» laissant entendre que cela ne donnerait pas la «victoire» aux Etats-Unis, qui est lourd de sens. Avec l'affaire du bouclier antimissile, les menaces à peine voilées contre l'Iran, la question qui se pose est de savoir si les Etats-Unis veulent sanctuariser leur territoire au détriment de la sécurité de l'humanité et de la planète qu'ils s'efforcent de contrôler sur les plans terrestre, maritime et spatial. Les stratèges américains ont-ils calculé les dommages incommensurables que peut valoir pour le monde une attaque contre l'Iran ou l'installation d'un bouclier antimissile en Europe? Et ce ne serait ni l'Irak et encore moins l'Afghanistan