Le processus de paix israélo-palestinien est à l'arrêt et rien n'indique qu'il pourra reprendre dans l'immédiat. Ce n'est, malheureusement, pas l'appel pathétique, à partir de Tunis, des “5+5” de la Méditerranée occidentale qui pourra y changer quelque chose. Beaucoup d'observateurs considèrent désormais qu'aucune avancée vers la paix n'est possible tant que Netanyahu et son gouvernement d'ultranationalistes et d'ultra-orthodoxes sont au pouvoir en Israël, et ce, malgré les efforts américains pour faire redémarrer le processus. Par leur statut de première puissance du monde et les relations particulièrement étroites qu'ils cultivent avec l'Etat d'Israël, rien ne peut se faire sans la volonté et l'implication des Etats-Unis. Encore faut-il qu'il y ait conjonction d'une administration américaine qui ait la volonté d'œuvrer à la résolution d'un des plus vieux et des plus injustes conflits du monde et d'un gouvernement israélien qui désire sincèrement une paix juste et durable. C'est loin d'être le cas. Si à Washington, l'arrivée à la Maison-Blanche de Barack Obama a suscité de réels espoirs, l'avènement du gouvernement Netanyahu, quelques semaines plus tard à Tel-Aviv, les a fortement tempérés, même les plus optimistes. L'un des présidents les plus progressistes de l'histoire des Etats-Unis, d'un côté, le gouvernement israélien le plus à droite de tous les temps, de l'autre, ce n'est sans doute pas la meilleure des combinaisons pour défricher les voies de la paix et permettre au peuple palestinien de se gouverner dans son Etat propre, en toute souveraineté. D'un côté, un président américain soucieux, dans l'intérêt de son pays, de rééquilibrer sa politique étrangère et qui considère la résolution du conflit israélo-palestinien comme une clé essentielle de sa réorientation stratégique ; de l'autre, un gouvernement israélien qui a du mal à comprendre et à accepter que les Etats-Unis ne le soutiennent plus de manière inconditionnelle dans sa politique expansionniste, menée en violation flagrante de la légalité internationale. L'incompréhension est d'autant plus forte que les Etats-Unis sortent de huit années d'administration Bush fils pendant lesquelles Israël a bénéficié d'une complaisance et d'un soutien illimités. L'engagement intense de George W. Bush aux côtés d'Israël relève d'un souci de politique intérieure (15% de l'électorat démocrate en 2002 est composé de Juifs américains sans compter les poids financiers et médiatiques des lobbies), d'une conviction viscérale qu'Israël est un partenaire indispensable, mais aussi d'une lecture toute personnelle de l'histoire biblique et de la philosophie protestante. Avant d'être assassiné en 1963, Kennedy avait menacé Israël Dans leur essai Washington et le monde, P. Hassner et M. Vaisse ont noté : “La sécurité de l'Etat d'Israël est l'une des priorités de la politique étrangère américaine, priorité qui rentre en conflit, parfois, avec d'autres éléments de la politique moyen-orientale des Etats-Unis”. Ce conflit entre le soutien inconditionnel à Israël et les intérêts américains dans la région s'est transformé progressivement en dilemme. Et c'est de ce dilemme que Barack Obama veut sortir son pays dont les intérêts sont gravement menacés par l'attitude de l'Etat hébreu. La pression américaine pour une paix négociée est la seule solution pour les Etats-Unis de s'affranchir de son lien inextricable avec Israël. C'est ce que tente de faire la Maison-Blanche depuis une année car, faut-il le souligner, l'Etat hébreu coûte économiquement et stratégiquement. Sans succès pour l'instant, puisque Netanyahu et son gouvernement n'ont même pas hésité à prendre la responsabilité d'une crise diplomatique. La politique moyen-orientale des Etats-Unis a commencé à se mettre en place vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 14 février 1945, ils ont signé le pacte de Quincy avec l'Arabie Saoudite. À travers ce pacte, ils garantissaient la sécurité du royaume et, en contrepartie, ils avaient accès à son pétrole pour une durée de 60 ans. Mais très vite, les Américains se sont vus dans l'obligation de concilier de bonnes relations avec le monde arabe et une alliance avec Israël. Le soutien militaire américain à Israël n'a commencé que dans les années 1960, pour atteindre son apogée sous l'administration Bush fils. Depuis la crise du canal de Suez, qui a vu une intervention ferme des Etats-Unis pour arrêter l'agression contre l'Egypte des armées israélo-franco-britanniques, le président Eisenhower avait décrété un embargo sur les armes vers Israël. Ce n'est que le 19 octobre 1962 qu'un conseiller de John F. Kennedy s'est rendu à Tel-Aviv pour annoncer à David Ben Gourian et à Mme Golda Meir que “le président a décidé d'autoriser la vente de missiles Hawks à Israël.” Entre-temps, la France a été un partenaire privilégié d'Israël dans le domaine de la coopération militaire. La levée de l'embargo par Kennedy n'était toutefois que partielle. À travers deux lettres datées respectivement du 18 mai et du 15 juin 1963, le président américain spécifiait à Ben Gourian que les missiles livrés par les Etats-Unis ne devaient en aucun cas servir à la défense du site nucléaire israélien de Dimona, situé dans le désert du Néguev. Israël étant passé outre cette restriction, Kennedy l'a même menacé. Mais il a été assassiné le 22 novembre 1963. Henry Kissinger a fondé une alliance stratégique avec Israël sur un bain de sang palestinien Lyndon Johnson, qui l'a remplacé, a décidé d'autoriser la vente à l'armée israélienne d'un nombre élevé de blindés et d'avions de combat avant la “Guerre des six jours”, en 1967. Il donnait ainsi un avantage certain à Israël sur ses voisins arabes. En ce sens, Lyndon Johnson est le père de l'alliance militaire américano-israélienne, à l'ombre d'un complexe militaro-industriel qui n'a cessé de gagner en puissance. Plus aucun obstacle ne pouvait alors empêcher le développement de relations entre les deux pays. C'est néanmoins le secrétaire d'Etat Henry Kissinger qui, en 1970, a fondé la relation d'amitié entre Washington et Tel-Aviv telle qu'elle est connue actuellement. Cette relation a été inaugurée par un bain de sang palestinien. La Jordanie, confrontée à une révolte de réfugiés palestiniens soutenus par la Syrie, dont l'armée est entrée dans le pays, a demandé de l'aide aux Etats-Unis. Kissinger a sous-traité l'affaire en confiant la mission à Israël. L'armée israélienne a repoussé les Syriens et massacré les Palestiniens : c'est “Septembre noir.” Le secrétaire d'Etat américain a alors conçu les deux postulats sur lesquels reposerait la nouvelle relation stratégique entre les Etats-Unis et l'Etat hébreu : Israël doit être plus puissant que toute alliance de pays arabes et les prétentions arabes sur les territoires annexés en 1967 sont jugées “irréalistes.” En 1971, après la crise jordanienne, l'Etat hébreu recevait une aide américaine de 545 millions de dollars. Depuis, Washington a ouvertement assumé son alliance en garantissant à Israël un avantage sur ses ennemis à travers des aides militaires et financières régulières et conséquentes. Après les attentats du 11 décembre 2001 et jusqu'à l'arrivée d'Obama à la Maison-Blanche, les liens se sont encore resserrés entre Washington et Tel-Aviv. Les deux pays se sont en quelque sorte reconnus l'un en l'autre à travers un contexte de terrorisme et d'attentats suicides et ont mené, de manière unilatérale, une politique de guerre préventive qui a davantage renforcé le terrorisme qu'elle ne l'a réduit. On comprend, dès lors, que l'attitude de Barack Obama, qui fait pression pour mettre fin à la colonisation des territoires en vue de relancer le processus de paix et créer un Etat palestinien viable, ait fait l'effet d'une douche froide à Netanyahu et à son gouvernement. Jamais, depuis quarante ans, les relations entre les deux pays ne se sont aussi dégradées. Au point où Washington souhaite une crise politique en Israël pour avoir à faire à un nouveau gouvernement, plus coopératif. Et le gouvernement israélien multiplie les provocations de sorte à rendre toute reprise de négociations inacceptables par les Palestiniens. Ils gagnent ainsi du temps et espèrent tenir jusqu'en 2012, avec le secret espoir que Barack Obama ne soit pas réélu. Le gouvernement israélien fait une erreur d'appréciation. Le recentrage de la politique étrangère américaine n'est pas conjoncturel, mais structurel. En quarante ans, les données régionales et mondiales ont évolué. Il se trouve que non seulement, il n'y a plus identité de vues entre Washington et Tel-Aviv, mais il y a également divergence d'intérêts. De très hauts responsables américains l'ont fait entendre, allant jusqu'à affirmer que la politique d'Israël met en péril la sécurité des Etats-Unis. Et, de ce point de vue, un président américain, quel qu'il soit, privilégiera d'abord les intérêts de son pays. C'est ce que tente de faire Barack Obama depuis une année. Ni plus, ni moins.