Il était minuit passé lorsqu'en été 1950, les premiers automobilistes épouvantés firent part, à leur arrivée à Oran, de leur incroyable vision. Ils ne tenaient plus sur leurs jambes tellement ils étaient excités. Personne ne les crut. D'autant qu'ils empestaient le pastis et le tabac bon marché. Pensez donc! une apparition sur la corniche oranaise, à quelques kilomètres d'Aïn Turk à l'heure où des milliers de lurons, tapis dans des bastringues enfumés, trinquent et chantent à tue-tête au milieu des kemias et des tournées à l'heure où des coeurs transis se content fleurette sur des plages dénudées et désertes, illuminées par les seuls rayons de leur amour. L'incident aurait pu être oublié ou classé dans le registre des histoires fantaisistes inventées par des passagers imbibés et à l'imagination tordue, mais ces apparitions se répétèrent assez régulièrement et au même endroit, très exactement, au niveau du rocher de la Vieille. Ce gros tas de pierres qui surplombe le littoral fait, en effet, penser, vu de loin, à la tête d'une mémé qui porterait un méchant chignon, d'où son nom. Pieds nus et cheveux au vent Mais quelle est cette étrange vision qui intrigue tout le monde et qui attire les curieux? Parce que le tamtam africain a, depuis, battu le rappel de toute la population. Il s'agirait d'une dame ou plutôt de la silhouette d'une femme vêtue de blanc qui marcherait pieds nus en bordure de route, les cheveux aux vents et qui, brusquement, disparaît dans les ténèbres sans laisser de trace. Aussi vite qu'elle était venue, comme si elle avait été happée par les forces sidérales d'une autre dimension. Tous les témoignages de l'époque disaient la même chose, convergeaient vers le même sens et décrivaient le phénomène avec les mêmes détails à une nuance près. Chose troublante, cette dame en blanc, qui n'avait ni nom ni patronyme, n'était visible que pendant quelques minutes, pas tous les soirs et jamais à la même heure, comme pour dérouter tous ses “suiveurs”. Encore plus troublant: elle pouvait disparaître pendant plusieurs mois, voire pendant plusieurs années et reparaître sans crier gare, toujours vêtue de blanc et les cheveux lâchés au vent. Lassés par les caprices d'une créature aussi diaphane et aussi insaisissable, les riverains finiront par se convaincre que le canular avait assez duré. Et puis ils avaient d'autres chats à fouetter que de courir derrière une chimère vraisemblablement inventée de toutes pièces par des fadas ou des facétieux au goût dérangé. Cette apparition aurait pu en rester là, s'éteindre avec ses promoteurs, tous pieds-noirs et donc de fieffés blagueurs sauf que la dame en blanc ne l'entendra pas de cette oreille et, contre toute attente, recommencera à hanter ce bout de la côte quand la cité s'apaise, que rien ne bouge, que rien ne meut et qu'on a l'impression que les lacets bitumés de la corniche zigzaguent entre la mer, le ciel et le flanc du Murdjadjo. Elle refera surface en 2004...sur cette même route du littoral et les automobilistes qui l'apercevront, l'espace de quelques secondes, au moment où leurs phares balayaient le panorama des ténèbres, sont formels: ils l'ont vue se déplacer. La dame existe bel et bien ou son fantôme, peu importe, et ce n'est pas un canular. Des journaux locaux ont, d'ailleurs, raconté le lendemain, l'extraordinaire aventure qui venait d'arriver à ces citoyens encore sous le choc. D'autres, plus tard, confirmeront la même version. Une question se pose: sommes-nous en présence d'un canular mais d'un canular parfaitement étudié et capable de survivre à deux générations? Impossible! Il est impossible techniquement à ceux qui l'avaient monté à l'époque et qui sont aujourd'hui dans l'autre rive de la Méditerranée, de passer le relais, cinquante ans plus tard à des farceurs restés sur place. Dans ces conditions, sommes-nous en présence d'une vision collective, c'est-à-dire, d'un phénomène inexpliqué tels que les ovni et des soucoupes volantes? Probablement, si l'on considère le théâtre de ces visions. A des rares exceptions près, mais les automobilistes qui descendent la corniche à 23 heures pour rentrer à Oran, sont en général éméchés, à la limite, joyeux sans être tout à fait out et ont tendance, les relents de l'alcool aidant, à voir au travers des ombres épaisses de la montagne qui se jouent sur l'asphalte, tout ce que leur imagination débridée peut inventer. Et lorsque la lumière des rares poteaux électriques ou les phares de leurs véhicules illuminent brusquement les crêtes et la montagne et trouent les poches d'ombre, le passage rapide du noir au blanc, crée souvent des silhouettes virtuelles, des figures fantasmagoriques qui peuvent donner naissance souvent à toutes les interprétations, y compris les plus farfelues. Reste, évidemment, la troisième hypothèse qu'on ne peut pas écarter: la présence d'un fantôme. Après tout, pourquoi pas, puisque ces entités transparentes et douées d'énergie, circulent librement à travers les corridors des châteaux écossais, ont des noms et ont même été adoptés dans certaines résidences gothiques du Pays de Galles. La télévision française a même réussi à filmer quelques-uns d'entre eux par caméra infrarouge et dans un silence sépulcral. En supposant que la dame en blanc soit vraiment un fantôme qui viendrait hanter les lieux qu'il a aimés ou qui l'ont marqué lorsqu'il était de ce monde, qui pouvait-elle être finalement? Personne n'est en mesure d'identifier cette créature apparue dans les années 50, encore faudrait-il qu'on l'ait aperçue au moins une fois. De plus, tous ceux qui étaient capables de le faire, ne sont certainement plus vivants. Et si l'on part du principe qu'un fantôme n'a pas d'âge, la dame en blanc, qui a l'air de traverser le temps comme on traverse un courant d'air, a pu exister dans la réalité n'importe quand, au début du siècle dernier, peut-être même avant, bien avant la colonisation française. Un mystère entier A partir de là, tous les créneaux de la recherche peuvent être investis pour peu que l'on ait un peu d'imagination et le sens du romanesque à en revendre. Et si c'était une infante espagnole ramenée à Oran dans les bagages des conquistadors et dont le carrosse aurait été attaqué et les occupants exterminés par les tribus guerrières de la côte? Et si c'était l'épouse ou la fille d'un colon qui aurait fugué par ce soir d'été pour des raisons inconnues et qui aurait été écrasée par un véhicule dont les freins auraient lâché ou dont les conducteurs étaient tout simplement ivres? Et si c'était... Peu importe au fond qui elle était, ce qu'elle faisait et le drame qu'elle a vécu, car son mystère reste entier. Les Oranais la reverront-ils cette année? Bienvenue au cauchemar! Un jour, peut-être, des scientifiques rigoureux, tireront cette histoire au clair et ce jour-là, hélas, la corniche perdra un peu plus de son charme et les Oranais n'auront, sans doute, rien à raconter. De grâce, laissez-nous notre petite dame blanche! Elle fleurit nos soirées. Elle vaut bien le poisson de Marius...qui était aussi gros que le port de Marseille. C'est la même bouillabaisse.