La guerre en Irak peut être considérée comme un tournant décisif dans le djihad des islamistes radicaux. Les attaques opérées, la consternation passée, les responsables de la sécurité intérieure planchent aujourd'hui sur la manière de faire avec ces nouveaux défis terroristes. Quasi spectaculaires, poussant le défi et l'audace à leurs extrêmes limites, les attentats de ce qu'il convient désormais d'appeler du 11/4, ont complètement chamboulé les donnes sécuritaires, effrité l'aplomb justifié jusque-là, de la sécurité intérieure algérienne, et poussé, de ce fait, à engager une profonde réflexion sur la gestion de ce phénomène récurrent. Les premières leçons tirées par les responsables de la sécurité les ont mis, pour la première fois depuis des années, sur la défensive. D'autant plus que cette fois-ci, les attentats ont été opérés dans le coeur de la capitale, dans le coeur de la sécurité, en plein jour, et ciblant uniquement des édifices-symboles et de sécurité, il y a, certainement, matière à pousser à plus de retenue les responsables politiques qui pavoisent depuis des années et rabâchent encore à l'usure les formules consacrées, mais toujours démenties par le terrain, du dernier quart d'heure du terrorisme, des résidus du terrorisme et autres citations en usage dans le marketing politique. Le parrain du terrorisme islamiste en Algérie est bien Mustafa Bouyali, et son action date d'un peu plus d'un quart de siècle déjà...Les photos des trois kamikazes qui se sont fait sauter avec des charges d'entre 500 et 700kg de mélanges explosifs sont des jeunes terroristes de la troisième génération. Celui qui a perpétré l'attentat le plus important, non pas uniquement du 11/4, mais aussi depuis le début du terrorisme en Algérie, est un jeune garçon à peine sorti de l'enfance. Avec son survêtement sport bleu, son visage glabre et son air de jeune branché, il peut se promener partout sans éveiller le moindre soupçon. La guerre en Irak peut être considérée comme un tournant décisif dans le djihad des islamistes radicaux et la prise de conscience des enjeux politiques et militaires qui sous-tendent les actions politiques dans la région arabe. La troisième génération des djihadistes que nous avons en face aujourd'hui, est celle des jeunes âgés aujourd'hui entre 17 et 25 ans et qui est tentée par l'action terroriste. Au plan idéologique, elle est endoctrinée à outrance, mais sans qu'elle possède une culture islamique sérieuse, elle reste toutefois portée, premièrement et avant tout, sur l'action, spectaculaire de préférence, depuis les attaques du 11 septembre 2001 au moins. Il y a un peu plus de deux ans en Tunisie, des adolescents avaient été arrêtés et condamnés après avoir été surpris par la police en train de surfer et de tchatcher sur des forums islamistes très radicaux. La très grande jeunesse -dont des mineurs- des nouveaux adeptes du djihad, est un fait significatif d'une évolution assez proche finalement des fonctionnements de la criminalité. Il s'agit, entre autres, selon des spécialistes, d'une nouvelle forme d'adaptation aux dispositifs de contrôle/lutte antiterroriste, qui consiste à recourir à des individus qui ne sont pas intégrés dans les critères de surveillance (on le voit par exemple dans les réseaux de drogue) et qui sont plus fragiles. Mais c'est déjà le cas, également, des femmes, dont certaines impliqués dans des affaires récentes, dans le Golfe, au Proche-Orient, mais aussi en Europe, et qui ont révélé qu'elles étaient utilisées dans ces réseaux, y compris comme kamikazes. Selon des repentis qui viennent de bénéficier des mesures de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, la nouvelle tendance des jeunes djihadistes est à l'attentat suicide. L'onde de choc irakienne Ceux qui sont partis en Irak, ont appris sur place, comment se faire sauter devant les forces de sécurité et devant des édifices de l'Etat. Ils en sont revenus imprégnés de cette action qui permet au jeune candidat à l'attentat suicide (un acte de foi, dans les fetwa en usage dans les milieux djihadistes) de faire trembler les puissants. Aujourd'hui, ils sont tout heureux d'aller se faire sauter dans des attaques kamikazes en Algérie, avait prévenu un repenti du Gspc. Selon des informations sûres, et qui nous ont été confirmées par des diplomates en poste en Algérie, qui ont fait un passage récent en Irak, le nombre des Algériens présents dans la résistance irakienne est très élevé. Une autre leçon à tirer de ces attaques est l'exfiltration opérée par le commandement du Gspc avant de rallier Al Qaîda. Nous savons que l'avis d'appel d'offres de services du Gspc à Al Qaîda date de plusieurs années déjà, et que des émissaires de Oussama Ben Laden et Aymane al-Zawahiri ont, depuis au moins le début de l'année 2002, tenté de conclure un pacte stratégique, et à chaque fois, c'était al-Zawahiri qui avait retardé les accords. Très suspicieux, celui-ci avait exigé que le Gspc expurge ses rangs des éléments jugés douteux ou pas assez «convaincus». Ce que Abdelouadoud avait pu accomplir, et le Gspc a connu des purges et des révisions dans ses structures internes, ses modes opératoires et son action armée. Après quoi, le ralliement du Gspc à Al Qaîda avait été possible. Le ralliement de Douadji Yahia, dit Yahia Abou Amar au Gspc a été déterminant pour la suite des actions de violence. Chef du Groupe salafiste combattant (GSC), implanté à Relizane, il avait rallié le Gspc en 2003 et pris les commandes de la commission militaire en juin 2004, après la mort de Abi Abdelaziz, dit Okacha al-Para qui assurait cette fonction avant lui. Cet ancien d'Afghanistan a pu donner plus de rigueur dans l'action armée du groupe, tout en généralisant l'emploi de l'explosif. Un colonel de l'Armée nationale opérant dans une zone du Gspc, nous faisait part, récemment, de ses soucis: Nous sommes en face de jeunes garçons, fraîchement élus terroristes, qui ne savent même pas écrire correctement leur nom mais qui savent fabriquer à la perfection une bombe et la faire exploser à distance par l'intermédiaire de systèmes d'allumage perfectionnés. On parle aussi, de façon très légère, il faut le dire, des donnes de la réconciliation nationale et des élections législatives, comme si les attentats du 11/4 ont été le fruit de la première et une contre-offensive contre la seconde, alors qu'il n'en est rien. Réaction de bête blessée La réconciliation nationale, sous les diverses formes engagées par le président de la République depuis 1999, a permis d'assécher les maquis islamistes de quelque 6000 terroristes, ce qui est énorme en soi, et un résultat époustouflant. Concernant les élections, il n'y a que ceux qui n'ont pas suivi l'évolution des groupes armés pour continuer à débiter pareils motifs. Le Gspc, pour peu qu'on suive sa littérature interne, a définitivement quitté, et depuis longtemps, la voie politique pour se porter dans un registre résolument, absolument et ostensiblement religieux. Les élections ne les intéressent pas du tout. Ce qui les intéresse, c'est de porter la violence sous le balcon de l'Etat, de donner suite aux attentes d'Al Qaîda, de terroriser les esprits, de frapper fort les services de sécurité, de faire en sorte que les étrangers ne se sentent plus en sécurité en Algérie et que l'Algérie soit pointée du doigt. Il y a aussi le fait que le Gspc doit honorer son contrat avec l'organisation d'Oussama Ben Laden et de prendre sa place dans le marché très encombré des groupes islamistes. Mais, en fait, cette brusque poussée de violence est-elle annonciatrice d'un inquiétant retour à la psychose des attaques terroristes? Bien sûr que non, mais elle renseigne, néanmoins, sur un schéma «à l'irlandaise» qui tend à inscrire la violence dans le temps. Désarticulé un moment par la perte de ses chefs, par la saignée de ses hommes décimés par les coups de l'armée ou séduits par la réconciliation nationale qui les absout de leurs crimes et leur offre des solutions intéressantes, le Gspc s'est reconstruit de façon extraordinaire. Il adopte depuis lors, une nouvelle stratégie et revient à l'actualité de manière fort effrayante, plongeant dans l'embarras en même temps et les tenants du tout-sécuritaire, adeptes d'une guerre sans merci contre le terrorisme islamiste, et les tenants de la réconciliation nationale, partisans d'une solution négociée avec les groupes armés. Avec un nouvel atout: les attentats à l'explosif et aux kamikazes. Cette stratégie permet d'opérer des attaques à moindre frais et de procéder à des actions meurtrières à moindre coût, épargnant plus de pertes au groupe. L'attentat de Bouchaoui reste un modèle du genre: «petit attentat contre une immense publicité» et un fracas médiatique intense. L'attentat commis à la périphérie de la capitale, n'a nécessité que peu d'hommes et peu de moyens, il a nécessité une «répétition» de deux jours et a duré deux minutes, mais son impact a fait le tour du monde en deux heures. Efficace et spectaculaire à la fois. Avec des pertes en hommes estimées à «zéro mort». Si on compare les 33 morts et 57 blessés du 11/4 aux trois kamikazes qui avaient choisi délibérément de se faire tuer, on a vite compris les nouvelles donnes. Evidemment, le Gspc ne peut, de la sorte, édifier un Etat islamique en Algérie, ni prendre le pouvoir, il en a conscience, mais son objectif est de s'inscrire dans la durée, de vider la région de ses ressources sécuritaires et de maintenir les forces de l'ordre en état de tension permanente. Coup d'éclat ou stratégie de redéploiement, les attaques du 11/4 posent un véritable problème aux services de sécurité, en usant d'un «couloir» qui va du Sahel à l'extrême sud, au littoral algérois, dans le Nord, et mettant en relief des cellules opérationnelles qui procèdent dans les villes avec des éléments non fichés, non répertoriés, donc inconnus des services de sécurité. Ce qui rend le travail des services de renseignements difficile.