Nouvellement acquise au salafisme djihadiste, une génération de kamikazes se forme au sein même de la population. Il faut passer par une ruelle étroite, entourée de vieilles bâtisses, pour arriver au quartier dit «La Place» à la limite est de la cité La Montagne. Là, sur un côté, une bâtisse à deux étages, en cours de finition, avec deux garages au premier niveau. C'est la maison des Boudina. C'est là que vivait, depuis une année, et jusqu'au 11 avril dernier, Merouane Boudina, que tout le monde connaît plus mort que vivant, sous son nom de kamikaze «Mouadh Ibn Jabal», un nom pas très éloigné de son domicile de «Haï Al-Jabal», cité La Montagne, ce quartier ancien, une sorte de Casbah de Bachdjarah. Hier matin, son père était au tribunal d'Hussein Dey pour répondre à une convocation, confirmer la mort de son fils -et procéder aux tests d'usage avant de recevoir les restes de son fils- complètement carbonisé et quasi inidentifiable sans sa photo sur le site islamiste d'Al Qaîda au Maghreb. Son grand-père, septuagénaire tranquille, ne laissait entrevoir sur son visage aucune émotion. «Oui, il vivait ici, tranquille et sans histoire, il aidait son père et sa famille avec ce qu'il pouvait vendre quotidiennement de sardines ou de tomates.» Mais ce sont ses amis du quartier du lot A qui sont les plus informés. «Oui, il vendait ses tomates ici, au lot A. C'est sur ce côté de la chaussée qu'on exposait nos tables. La plupart du temps, Merouane vendait des tomates, mais il lui arrivait de trouver les marchés de gros de Bougara et des Eucalyptus saturés, vides, chers ou encombrés, alors on se rabattait sur la sardine de Zemmouri, qu'on vendait entre 100 et 140 DA le kilo», se souvient H., vendeur ambulant au «lot A». Face au lot A, un commerçant, homme d'âge mûr, se souvient: «Il vendait ici ses tomates ou ses sardines et venait souvent acheter chez moi des sacs en plastique dans lesquels il emballait sa marchandise.» Son geste? «Je n'en reviens pas. C'est nouveau, ces attentats kamikazes. C'était un garçon rangé depuis qu'il a commencé la prière, il y a une année, mais ce n'était pas un fanatique. Plutôt gentil et ouvert que renfermé. Mais qu'est-ce qui s'est passé dans sa tête? Je ne saurais le dire. J'ai vu qu'il fréquentait les mosquées, ne ratait plus ses heures de prière, mais de là à s'attendre à le voir s'en aller, se faire sauter...» «Le second kamikaze semble être un garçon de Boubsila, un autre quartier de Bachdjarah. C'est un ami de Merouane», nous balance un jeune, ami de Merouane, et qui semble bien le connaître. Barbe et kamis à l'appui, il jette des regards furtifs à gauche et à droite: «La police a fait une descente ici dans la Place de la Montagne et a embarqué beaucoup de jeunes barbus pour vérification...» Poussant plus loin notre investigation: «J'ai entendu son frère parler de lui comme s'il s'agissait d'un voyou. Rien n'est plus faux. Cela fait plus d'une année qu'il fait la prière avec assiduité, ne rate aucune prière, et dès qu'il a fini avec sa marchandise, il va à la mosquée lire le Coran. Il passait des veillées à lire et à psalmodier. Je crois qu'il a pris corps avec le Gspc Al Qaîda lorsqu'il se faisait approvisionner en poissons de Zemmouri, ce port où prolifèrent les éléments de ce groupe...» Le troisième élément qui se cache derrière le trio de kamikazes du Gspc Al Qaîda serait un jeune de Baraki. Il y a quelques jours, une bombe avait explosé dans une caserne située dans cet ancien fief du GIA. Les investigations menées alors, ont abouti chez un jeune activiste de la ville. La descente inopinée opérée chez lui, il y a une semaine, n'a rien donné, mais avait permis de trouver un numéro de châssis détaché au chalumeau, afin de ne pas donner d'indication sur la voiture. Aujourd'hui, les services spéciaux penchent pour cette thèse qui accrédite son implication dans les attentats suicide du 11 avril. Le trio, sur lequel avait misé le Gspc Al Qaîda, Mouadh Ibn Jabal, Zoheir Abou Sadjida et Abou Doudjane avait, délibérément, choisi un allé simple, celui de la bombe humaine. Nouvellement acquise au salafisme djihadiste, une génération de kamikazes se forme au sein même de la population.