OÙ situer ce brin de paille qui plutôt crève l'oeil ou transperce le coeur? Un ingénieur né à Aïn-Beïda, Kamel Abdellaoui vient de publier son premier roman pour dire, à travers des paysages mutilés et des personnages hors du temps, une Algérie troublée, entre l'espoir et le désespoir, l'amour et la mort. Comme un brin de paille(*), tel est le titre de ce long récit, à la fois didactique et éclairant, mais toujours paradoxalement narratif, plus que ne le serait un roman, - et pourtant vindicatif, aussi fort qu'un document implacable. Cela pourrait être une qualité pour expliquer, non pour «démonter l'univers» à la manière du romancier, proche des symbolistes, Rémy de Gourmont (1858-1915). Mais Kamel Abdellaoui a essayé de chercher la vérité...et, laisse-t-il entendre, il aurait trouvé cette vérité dans le destin tragique de son pays où évoluent son personnage principal «Redouane» et, parmi une foule de personnages prétextes, ce Farouk, l'Aurésien d'origine, «l'homme qui ne lésinait pas sur les ruses de l'avidité quand il avait un loup-cervier devant lui». Kamel Abdellaoui s'attache alors à instruire son lecteur en lui ouvrant des voies de recherche, proposant des situations étonnantes, détonantes de significations inouïes, et toutes replacées dans la réalité qui les a produites. Déferlent alors sous nos yeux toutes «ces créatures cauchemardesques séparées par un abîme de l'espèce humaine» et où «le meurtre était un moyen, la dérision l'unique moment de gaieté, le pillage et le viol, un but.» L'auteur, s'inspirant d'un romantisme mystique du poète et romancier allemand, Friedrich Hölderlin (1770-1843), veut parler vrai. Il s'en explique dans un prologue caractéristique de l'annonce d'une analyse sociologique à venir. Cette technique ne serait-elle pas aussi, a contrario, une sorte de litote inversée, peu probable pour convaincre; c'est-à-dire ayant la fonction d'émouvoir en vue de gagner l'attention du lecteur? Bien des ouvrages de ce genre où l'on décrit le trouble de l'âme humaine trop de l'extérieur, on se laisse peut-être submerger par un fort sentiment qui favorise le jugement de valeur au détriment de l'oeuvre littéraire, et ici le roman. Au reste, le titre seul oriente vers l'idée d'un danger: Comme un brin de paille. On se rappelle l'usage de ce «brin de paille» chez bien des auteurs, mais son plus bel effet est dans ce vers célèbre de Paul Verlaine (1844-1896) à l'adresse de son ami Arthur Rimbaud qu'il avait blessé d'un coup de pistolet: «L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable (Texte III de la 3e section de Sagesse).» Et c'est après avoir lu l'ouvrage de Kamel Abdellaoui que l'on comprend la justification du titre qui est tout espoir et auquel on pourrait ajouter (pour faire plaisir à notre auteur) cette magnifique et pertinente citation de Friedrich Hölderlin: «C'est quand le danger est le plus grand que le salut est le plus proche.» Comme un brin de paille se veut un roman (ç'aurait pu être aussi une bonne étude) de la société algérienne pour se libérer de la tourmente qui a failli la détruire. La fin du récit conduit le lecteur à cette juste réflexion d'auteur: «Voyons, voyons! À quoi bon gémir sur la cruauté du sort? Il n'y a pas de nuit qui ne mène à l'aurore!» La boucle est bouclée, et c'est vrai que «L'espoir luit comme un brin de paille». Où donc situer, s'il n'est espoir, ce brin de paille qui plutôt crève l'oeil ou transperce le coeur? Ouvrage à lire. (*) COMME UN BRIN DE PAILLE de Kamel ABDELLAOUI Editions Alpha, Alger, 2007, 446 pages.