Il est faux de croire que le football est générateur de scènes désolantes. L'information était suffisamment importante pour qu'elle fasse l'objet d'un traitement par la presse internationale. Il s'agit des émeutes qui ont secoué les villes de Bordj Ghedir et de Ras El Oued durant les week end dernier. Des émeutes qui se sont produites consécutivement à un match de football ayant opposé les clubs de ces deux cités voisines de la wilaya de Bordj Bou Arréridj, dans le stade de la première. Le résultat importe peu puisque, déjà, avant le match, les supporters des deux camps s'étaient affrontés, résultat d'une haine viscérale qu'ils se vouent. La violence a été, par la suite, transposée dans la ville de Ras El Oued, où des supporters du club local, ayant mal apprécié l'accueil de Bordj Ghedir, ont fini par «péter les plombs» suite à la défaite de leur équipe dans un derby qui, dit-on, devait décider de l'accession en division supérieure. Tant à Bordj Ghedir qu'à Ras El Oued, il y a eu de nombreux blessés et les dégâts sont importants. Tout en procédant au rétablissement du calme, la police a procédé à de nombreuses arrestations dans les deux cités. L'information reprise par les médias internationaux tombait au moment même où une autre faisait état, en Allemagne d'une bataille rangée, sur une aire de repos d'autoroute, entre supporters du club du Bayern de Munich et ceux du FC Nuremberg. Dans ce pays, les forces de sécurité ont arrêté 80 «casseurs». Cela démontre que l'on soit, de Bordj Ghedir ou de Munich, le football génère des mouvements de foule et offre le risque d'un affrontement entre deux camps de supporters, que ce soit dans le stade, aux abords de celui-ci ou même sur une aire de repos d'autoroute. Seulement, il serait trop facile de dire que cette violence naît et se produit dans le football. Pour rester en Algérie, ce qui s'est passé à Bordj Ghedir et à Ras El Oued, trouve une origine dans un manque de repères d'une jeunesse qui n'en finit pas de traîner sa déprime. En Algérie, c'est une évidence que cette jeunesse ne contient que difficilement la pression qui s'exerce sur elle quotidiennement. Une jeunesse soumise à une malvie qui ruine son esprit et le mine des jours durant. Une jeunesse, très souvent oisive, vivant dans des cités-dortoirs où tout n'est que morosité et ambiance délétère. Une jeunesse, enfin, qui se cramponne à l'idée d'obtenir un visa pour aller à la recherche d'un eldorado à l'étranger. Lorsqu'on est dans un perpétuel état d'extrême tension, le meilleur endroit pour déverser sa colère, c'est la rue ou le stade. Ce dernier se transforme, par la force des choses, en exutoire pour une population en mal de vivre. Prétendre, alors, que c'est la déception dans un match qui amène ces jeunes à se rebeller, c'est tourner le dos à la dure et triste réalité de la vie au quotidien de cette frange de la population. L'animosité qu'elle renferme en elle pour ce qui touche au domaine public est exacerbée par les conditions de préparation au match auquel elle veut assister. Partir au stade, c'est penser au déplacement et au retour à la maison et là, ce n'est pas du tout évident avec la rareté des moyens de transport. C'est, aussi, songer à se débrouiller pour obtenir un ticket d'accès au stade, souvent onéreux pour des chômeurs. Et puis, une fois dans le stade, c'est s'arranger pour trouver une place pour s'asseoir et ne plus y bouger des heures durant, car le risque de la voir prise par un autre, en cas d'absence, même de courte durée, est grand. Dans les gradins, les spectateurs sont «condamnés» à supporter la longueur du temps en attendant le coup d'envoi du match. Des heures assis à ne rien faire ou à papoter avec le voisin, sans manger, parce qu'on n'a pas le droit de faire entrer le moindre bout de pain dans le stade et sans boire, parce qu'on n'a pas pu faire entrer de bouteille. Et si on veut étancher sa soif, on se dirige, souvent, vers un seul robinet, pris d'assaut, s'il y a de l'eau qui y coule, un jour où il n'y a pas de coupure. Tout cela se passe dans un stade sans musique d'ambiance, sans spectacle d'ouverture. Rien. Que le terrain vide à voir des heures durant. Mais si nourriture et eau ne sont pas acceptées à l'entrée, on se demande comment des dizaines de feux de Bengale, autrement plus dangereux pour les spectateurs, peuvent être introduits. On dit que c'est beau à voir, mais ce n'est pas beau lorsqu'on les envoie sur les spectateurs voisins ou sur une piste en tartan et sur une pelouse en gazon synthétique qui ont coûté des milliards au Trésor public, donc au contribuable. Il y a, par ailleurs, un manque flagrant de civisme de la part de certains dirigeants de clubs et de quelques joueurs qui «allument le feu» par des déclarations intempestives, orientées vers des supporters grandement conditionnés. Ces dirigeants n'ont même pas d'excuses car eux sont, majoritairement, issus de milieux nettement plus favorisés que ceux des jeunes qui croupissent sur les gradins. Ils n'ont pas de problème de transport et n'ont aucun souci pour entrer au stade dont l'accès leur est accordé gratuitement avec place en tribune d'honneur bien douillette qu'ils ne rejoignent qu'à quelques minutes du coup d'envoi. Leurs sorties médiatiques sur fond de colère et d'énervement sont, de la sorte, inacceptables et condamnables, d'autant que l'on attend d'eux qu'ils se présentent comme des personnes censées capables de donner le bon exemple. Pis, ils en viennent à s'en prendre à leurs joueurs et à leurs entraîneurs auxquels ils transmettent la peur de mal faire et de perdre. Sur le terrain, ces joueurs et ces entraîneurs, se donnent, très souvent, en un spectacle de mauvaise conduite se transformant en acteurs d'un film de violence pour les milliers de spectateurs. Il est, donc, faux de dire que le football est un sport dangereux par les risques de violence qu'il véhicule. Il fut un temps où deux policiers suffisaient pour surveiller le public d'une tribune dans un stade. Il fut un temps où le stade du 20-Août d'Alger accueillait deux grands derbies le même jour. Faute de place dans les tribunes, on y faisait entrer des centaines de spectateurs sur le bord du terrain, délimité par une barrière. En dépit de l'enjeu, les matches se jouaient normalement et pas un objet n'était jeté sur le terrain ou sur les joueurs. On ajoutera que nous sommes, plusieurs fois, aller voir des NAHD-MCA, dans l'exigu stade de Zioui qui, bien, sûr, ne pouvait contenir toute la foule qui voulait assister au spectacle. Jamais, au grand jamais, il n'y avait eu de violence dans les tribunes ou en dehors de l'enceinte sportive. Ce temps-là c'était à la fin des années 60 et le début des années 70. Les gens du stade, c'était des Algériens comme ceux qui «cassent» aujourd'hui à la différence près que ceux d'avant avaient, certainement, moins de soucis que ceux de maintenant.