Finira-t-on, un jour, de crier au voleur, dans ce pays? L'Algérie est bel et bien une République du tiers-monde, avec tout ce qu'elle charrie de compromissions, de travers, de dysfonctionnements et de reniements. Mais aussi de parjure. N'ayons pas peur des mots. Jeudi, dans l'après-midi, on a crié très fort à la trahison. Au bourrage des urnes. A la fraude. Au trucage des élections. La résonance de notre colère, vite relayée par les médias étrangers depuis leurs envoyés spéciaux à Alger, a fait l'ouverture des JT des principaux networks qui comptent dans le monde. On a vite replongé dans les abysses du passé. Notre système démocratique, s'il a mérité une seule fois cette appellation, vient d'être exposé nu à la dérision des analystes et des politologues, toujours insatiables pour se repaître et rire de nos malheurs. Point de masochisme. Mais avouons quand même que nous méritons d'être flagellés parce que nous nous mentons. Qui a crié au loup? C'est bien M.Saïd Bouchaïr, le président de la Cnisel, magistrat connu, loyal, réfléchi, crédible et respecté, qui a été choisi pour toutes ses qualités par le chef de l'Etat pour coiffer cette instance chargée d'assurer la régularité de ces législatives. Dans son communiqué adressé aux rédactions des journaux, suintent tout son rejet, toute sa colère de ceux qui veulent se jouer, encore une fois, de la volonté du peuple telle qu'elle devrait être exprimée par le sacro-saint suffrage universel. Il a utilisé, pour ce faire, dans sa lettre au président Bouteflika, une sémantique qui ne prête point à confusion. Les mots «abus graves qui ont dépassé les limites des cas isolés», tels qu'ils figurent dans son communiqué, se passent de tout commentaire pour cette personnalité qui, dans un passé récent, avait assuré les hautes responsabilités de président du Conseil constitutionnel. Ce n'est pas rien. La surveillance des élections, il s'y connaît, Bouchaïr, puisqu'il en avait la charge pour la présidentielle. Il est loin d'être un gogo. Cet homme, qui a la haute main sur la bonne tenue de ces élections, peut souffrir de toutes les tares, sauf celle d'un agité. La réplique a été aussi désastreuse que celle suivant la première secousse d'un tremblement de terre. Elle ôtait toute crédibilité, prématurément peut-être, à de «prétendues» élections loyales et honnêtes, car elle menaçait de tuer dans l'oeuf l'expression du choix populaire. Dans le même temps, appuyant la thèse de la fraude électorale, les télévisions étrangères -françaises et arabes- passaient, en boucle dans leurs journaux, l'esclandre de Saïd Sadi, leader du RCD, dans le bureau de vote même où le président de la République s'était, quelques instants auparavant, acquitté de son devoir électoral. Sadi s'était insurgé contre le fait qu'on se soit opposé à laisser entrer, comme la loi le stipule, son représentant désigné pour contrôler le déroulement de ces élections. Qui peut, après ces deux incidents, avoir l'outrecuidance ou la naïveté de soutenir le contraire? Pis encore, c'est l'histoire du phénomène de l'iceberg qui refait surface: la partie immergée, celle qu'on veut nous cacher, ne serait-elle pas deux fois plus importante que celle qui apparaît? Ces deux faits, à eux seuls, relayés par les médias étrangers, ont éclaboussé, hier, l'image de l'Algérie. Dans la soirée, revirement: un autre communiqué de Bouchaïr, qui s'est fait remonter entre-temps les bretelles par Bouteflika et Zerhouni, le ministre de l'Intérieur, annonce, le plus normalement du monde, qu'on l'a trompé! Mais quelle taloche lui a-t-on infligé pour qu'il se renie à ce point? Le coup est parti, alors à quoi cela servira-t-il de se dédire? Dans une démocratie qui se respecte, dans un vrai Etat de droit, de tels comportements conduiraient leur auteur au mépris, sinon à la vindicte publique. Quel crédit encore accorder à Bouchaïr? Mais quel crédit aussi accorder à un Etat qui choisit mal, à ce niveau, ses représentants officiels? Voilà, c'est ça la République malade de ses états. Fraude, irrégularités, coups fourrés, ce ne sont pas des galipettes de journalistes. Avouons-le: c'est de la cruauté publique! Il faut en finir avec cette maladie infantile d'opérer des hold-up sur les partis. Toute la classe politique est désavouée. Cet échec, elle ne finira pas de le payer. La désaffection du peuple pour la chose publique est, aujourd'hui, une réalité difficile à démentir. Sinon, comment expliquer que ce jeudi, on ait enregistré le plus faible taux de participation qui mériterait de figurer dans le Guinness depuis l'indépendance? Le peuple ne veut plus voter pour des députés dont la seule préoccupation est de s'offrir une sinécure à vie: un salaire de 200.000,00DA, une limousine achetée avec un prêt à taux zéro, sans compter d'autres passe-droits, quand ce n'est pas pour se payer, en bout de piste, une villa avec piscine à Hydra ou à Poirson. Qui est le dindon de la farce? Le peuple. Qu'a-t-on fait des 100 milliards de dollars qui croupissent dans les coffres-forts de la Banque centrale, alors que le sachet de lait reste introuvable, que l'emploi est une denrée rare et que le logement a triplé de valeur avec la flambée sans précédent de l'immobilier? Qui se moque de la République? Sur plus de 18 millions d'inscrits, comment juger le fait que seuls 6 millions environ aient accepté de voter et que parmi eux, il y ait un million à avoir choisi le bulletin nul? Hélas, toute la problématique de la nation se fonde sur ces données tragiques. Alors, comment va l'Algérie? Tout va très bien, Madame la Marquise!