La Visite de la Fanfare, film présenté dans «Un certain Regard», a déclenché une salve d'ovations de plus de vingt minutes. «Quand j'étais enfant je regardais le film d'amour sur la télévision égyptienne. Chaque vendredi après-midi les rues se vidaient. Tout le monde était scotché devant son poste, à suivre les histoires de coeur de Omar Sharif, Faten Hammama (...). Les films arabes ont disparu de nos écrans. Alors qui se soucie des chansons en quart de ton qui durent une demi-heure? Par la suite Israël a construit un nouvel aéroport oubliant de traduire les noms des routes en arabe. Parmi les milliers de boutiques construites là-bas, ils n'ont pas trouvé de place pour cette étrange écriture incurvée qui représente la langue maternelle de la moitié de la population...» Ainsi parle Eran Kolirin, réalisateur de La Visite de la Fanfare, le film présenté dans «Un certain Regard» et qui a déclenché une salve d'ovations de plus de vingt minutes. Ce film raconte justement les incidences de ce reniement de l'arabité de cette partie de la Palestine biblique, devenue depuis 1948, l'Etat d'Israël. «Un jour, il n'y a pas si longtemps, raconte Kolirin, une fanfare de la police égyptienne a été invitée en Israël pour l'inauguration d'un Centre culturel arabe. Mais personne ne les attendait à l'aéroport et le minibus qui les transportait les déposa en plein désert à portée de regard d'un lieudit...Seulement voilà, une erreur de phonétique a fait débarquer ce groupe égyptien dans ce coin perdu, non loin de la seule buvette où campent deux clients éternels et une barmaid, jeune et jolie mais au regard asséché...Les Egyptiens font grise mine puis leur chef, le colonel Tawfik, décide de demander l'hospitalité, pour la nuit, à la dame qui, du coup, répartit le groupe entre elle et ses clients...Et la tragi-comédie s'installe progressivement faite de méfiance et d'a priori et puis la nuit se déroulant, les Egyptiens découvrent qu'ils ne sont pas les seuls naufragés...» Dans un très beau moment de cinéma, leurs hôtes tombent le masque et le réalisateur donne l'occasion à ces «étrangers» de montrer combien leur humanité peut être utile, donnant du coup un véritable coup de pied dans la fourmilière des préjugés entretenus à l'égard des Egyptiens (et par extension à l'égard des Arabes) «De nombreux films ont abordé la question de la paix que nous n'arrivons pas à obtenir, mais il semble que très peu de films posent la question de savoir pourquoi nous avons besoin de cette paix. Nous avons noyé l'évidence dans nos conversations sur des avantages économiques et des intérêts», confie le réalisateur. L'ancien Premier ministre, Rabin, en son temps, avait finalement fini par comprendre, mais ses ultras ont tôt fait de le neutraliser une fois pour toutes, eux aussi avaient compris quels intérêts ils avaient à entretenir le climat de guerre dans la région, en Palestine, au Liban. Ils ne sont pas les seuls dans le rôle du pyromane. D'autres cinéastes, qui tentent depuis leur succès, Fargo, de jouer les pyromanes du rire grinçant, ont débarqué à Cannes avec une certitude qu'ils sont seuls à partager, pratique quand il s'agit de deux frères, les Coen. Inspiré d'une nouvelle tirée du désert littéraire du fameux Cormac Mc Carthy, No Country for Old Men, rappelle dans son aridité les pépites éditoriales de l'auteur de Si Jolis Chevaux et de Méridien de Sang mais là s'arrête la convergence. L'adaptation, qui démarre comme le suggère le roman de Mc Carthy, s'arrête en rade, les frères Coen ayant raté le fameux «turn point» indispensable pour déboucher sur un véritable troisième acte, comme le stipule la règle scénaristique de base... Il ne s'agit pas de suggérer quelques leçons de scénarios au Coen Brothers, que non, car il est plus que certain que ces passages obligés existent dans le scénario mais les réalisateurs, en voulant forcer le clin d'oeil, ont tout bonnement raté les relais...Tout commence par une piste de sang sur laquelle tombe un retraité soudeur, braconnier à ses moments perdus. Il la suit et relève les signes d'un règlement de comptes entre trafiquants de drogue: des cadavres gonflés au soleil, des molosses dans le même état, la cargaison d'héroïne et plus loin, le dealer encore agonisant avec, à ses pieds, la mallette de dollars de la transaction. Le braconnier prend la mallette et ne vérifie pas les liasses, laissant ainsi un mouchard électronique signaler ses déplacements aux barons qui envoient à ses trousses un psychopathe sortant du Shining de Kubrick. Le reste s'enlise dans une poursuite digne de Mc Gyver...Sans trop d'intérêt. Par contre, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous sommes partis à la recherche des Corps Perdus de la libanaise Danielle Arbid. On aurait pu penser qu'il s'agissait de ceux de Thomas, photographe français, aimantés par les bas-fonds du monde, et de Fouad, un voyageur à la mémoire amnésique sorti droit d'un roman de la Beat Generation (Burroughs, Kerouac). Mais non, pas forcément du moins. La rencontre de ces deux voyageurs en dérive va déboucher sur une chosification de l'un, objetisé par l'objectif de l'autre. Arbid ne s'arrête pas là, dans ce no man's land, situé en Jordanie (semblable à nos Hauts-Plateaux), elle tourne autour du pot, celui qu'Antonioni a mis toute une vie, ou presque, à façonner. On pense alors à Zabriskie Point et à ces corps enchevêtrés dévalant, à l'infini, les dunes, mais aussi à Blow Up et son photographe...Le thème de l'incommunicabilité cher au grand maître italien est dans l'air. Et quand le nu s'installe de manière crue, on est prêt à jouer le jeu, mais on reste à l'orée des choses...En sortant de la projection, et après avoir été gagné d'une impassibilité agaçante, à la lumière crue du jour, on constate que le regard ne peut qu'être cillé. Une idée traverse alors un cerveau encombré par Antonioni et l'usage qu'en a fait Farouk Beloufa dans Nahla, (dans un tout autre registre, certes). Reste que la question du nu au cinéma se posera toujours: le nu, en peinture, ne s'encombre pas de corbeille de fruits à ses pieds, sinon il faut aller se rhabiller! Le derme a besoin de sens, peu importe la forme qu'il épouse, sinon il est au service du VOIR et non du sa-voir. C'est la différence, en Algérie, entre Slim Ryad et Tariq Teguia: entre un corps dénudé sans raison (vite censuré d'ailleurs) et un bout d'épiderme montré par Tariq Teguia, dans l'incroyable Roma oua la n'touma...C'est toute une culture. Il semble que Danielle Arbid, à deux doigts de rafler la mise (et de bonne manière!), ait cédé à l'envie folle de vouloir frapper les esprits avec des corps livrés à l'abattage. L'Empire des Sens de Mishima avait pourtant bien balisé le chemin (si on veut oublier Michelangelo A.). Les corps ne peuvent frapper les esprits dans leur nudité, que s'ils ont une âme; or, dans ce film, ces corps n'ont pas d'âme. On n'entend pas leur petite musique. A moins que la réalisatrice ait voulu dire combien l'âme féminine dans nos contrées a été évidée par des hommes toujours prompts à édicter aux femmes arabes leur conduite, fidèles ainsi à leur rôle de tuteur patenté. Dans ce cas-là, le film de Danielle Arbid en évoquant ces corps perdus ferait aussi allusion à ceux des hommes. Etant entendu que si l'un se perd l'autre l'est aussi. D'évidence.