Et voilà! Comme souligné dès le début du festival, Christian Mungiu a remporté (presque) haut la main la 60e Palme d'Or avec Quatre Mois, Trois Semaines et Deux Jours! Cette histoire qui se déroule, pratiquement la nuit, relate le dilemme dans lequel est plongée une jeune étudiante Ottila qui tente par tous les moyens d'aider sa copine de chambrée, Gabita, à procéder à une interruption volontaire de grossesse. Mais nous sommes dans la Roumanie de Ceausescu...Tout est interdit, mais aussi tout est possible. Chaque dictature, chaque société déréglée, où le citoyen n'est pas respecté, il génère un système parallèle où le non-droit s'installe et en règle dont le moteur reste, bien entendu, la corruption généralisée. C'est la chambre d'hôtel qu'il faut louer en s'aplatissant, c'est le médecin marron qu'il faudra chercher du côté de l'hôpital. Or, qui dit praticien véreux dit chantage à la clé... Le toubib sentant son pouvoir de dépendance certaine sur les deux filles, va amplifier le caractère risqué de sa démarche pour augmenter ses tarifs, à la dernière minute. Aussi fera-t-il comprendre à Ottila que la vie de son amie Gabita est entre ses mains... Insinuant alors qu'il accepterait même de se faire payer en nature, aussi...La caméra reste en plan, moyen, fixe, à distance pudique pendant, d'ailleurs, presque tout le film. Le thème est ténu, comme on le voit, mais là aussi c'est en ne perdant pas de vue sa thématique que le cinéaste roumain a fait un film fort et bouleversant qui a touché l'ensemble de la presse et du jury. Une situation rare à Cannes! Un film fort, qui interpelle (presque) chacun et au-delà de ses croyances, le doit toujours à la clarté et la profondeur de sa thématique. Ici, il s'agit de se demander jusqu'où peut-on aller pour accompagner un être proche dans sa traversée d'une passe très difficile. Mungiu se sert de son personnage d'Ottila, l'amie, (qui est finalement le personnage pivot du film) pour creuser son sillon. Une thématique, bien définie et ensuite bien chevillée, évite une dispersion qui souvent, amène le spectateur à décrocher! Pour moins de 600.000 euros (un budget très bas, selon les normes européennes), le réalisateur roumain a gagné son pari. Faire un film avec l'argent dont il dispose et non pas avec celui qu'il faudrait... Toute cette attention que nous suscitons ici durant le Festival, cette histoire en laquelle nous croyons tant, va toucher une multitude de gens à présent, a déclaré ému, Mungiu. J'espère aussi que cette récompense reçue ce soir sera une bonne nouvelle pour les cinéastes des petits pays, car cela veut dire, apparemment, qu'on n'a pas besoin d'un gros budget et d'une flopée de stars. En écoutant le lauréat, Jane Fonda, qui lui a remis la Palme, opinait de la tête, songeant sans doute à ce jeune cinéma indépendant de Cassavettes et Peter Fonda, son frère, qui avaient offert certains des plus beaux films du cinéma indépendant, des low cost, des coûts bas, comme on disait là-bas, dans les années soixante-dix...Stephen Frears et ses jurés auront donc marqué de leur empreinte ce festival, puisque, selon certaines indiscrétions, il y a eu longue discussion pour départager le Roumain Mungiu et la Japonaise Kawase. Lauréate de la Caméra d'or, en 1997 pour son premier film Suzaku, Naomi Kawase, programmée le dernier jour avec La Forêt de Mogari, a été également dans l'épure, pour raconter une histoire de deuil portée et la façon d'y mettre fin. Il n'y a que la lumière qui change entre les deux films. En Roumanie, elle est froide, grise et sombre. Au Japon, le vert des interminables champs de thé, le bleu du ciel, dans leur nudité, participe à l'installation des situations et permet une identification, voire une imprégnation avec des caractères empreints de tristesse. Dans les deux cas, en fait, c'est le dénuement dans la mise en scène qui permet cette approche commune. Pendant longtemps, j'ai erré dans l'angoisse et je suis là. (...) Je vais dormir dans la terre. «Comme je me sens bien. Tout va bien maintenant.», dit le vieil homme qu'accompagne une jeune aide- soignante, après avoir escaladé la forêt de Mogari, et en s'allongeant sur le sol...Là où est enterrée sa femme... Les deux personnages de Kawase partagent, en fait, la perte d'un être cher sans réussir à en faire le deuil. Et tout comme dans le Derzu Ouzala de Kurosawa, la nature permet à l'être humain de se réconcilier avec lui-même. Ici, ce sont les merveilleux paysages, protecteurs et bienveillants, de Nara, l'ancienne capitale nippone. Naomi Kawase avait remporté, en 1997, la Caméra d'or, pour son un premier film Suzaku. Elle était également en compétition sur la Croisette, en 2003, avec Shara. En plaçant ses deux films en haut du palmarès, Stephen Frears et son jury ont donc choisi de récompenser l'humanisme, sans oublier le bon cinéma, et c'est tout à leur honneur!