Le rideau est tombé, dimanche dernier sur la plus grande fête du cinéma au monde, le 60e Festival international du film de Cannes. Contre toute attente, c'est la Roumanie qui a triomphé lors de ce rendez-vous qui l'a consacrée avec la Palme d'or décernée pour le film Quatre mois, trois semaines et deux jours signé Cristian Mungiu. Dans ce palmarès quelque peu controversé, c'est, également, la Roumanie qui a arraché le Prix Un Certain Regard, la section parallèle et non compétitive de Cannes, pour California Dreamin du Roumain Cristian Nemescu. Le lauréat de la Palme décernée par le jury présidé par le cinéaste britannique Stephen Frears, fait partie d'une nouvelle vague roumaine, tout comme son compatriote Cristian Nemescu. Quatre mois, trois semaines et deux jours, le film qui a raflé la plus haute distinction cannoise, se déroule en plein dans la Roumanie de Ceaucescu, vers la fin des années 80. L'avortement étant interdit sous Ceaucescu, une jeune étudiante, Gabita (Laura Vassiliu), devra, au courage de sa camarade de chambrée Ottila (Anamaria Marinca), de pouvoir avorter sans trop de conséquences fâcheuses. Ce faisant, Mungiu a dressé l'un des plus admirables portraits de femmes de la sélection qui en comptait déjà beaucoup. "Toute cette attention que nous suscitons ici durant le Festival, cette histoire en laquelle nous croyons tant, va toucher une multitude de gens à présent", a réagi Mungiu, immédiatement après avoir été distingué. " J'espère aussi que cette récompense, reçue ce soir, sera une bonne nouvelle pour les cinéastes des petits pays car cela veut dire apparemment qu'on n'a pas besoin d'un gros budget et d'une flopée de stars." Lors de la conférence de presse des lauréats, il a considéré qu'en soi, avoir la Palme d'or à Cannes était une reconnaissance plus importante que, par exemple, décrocher un Oscar. Film très japonais De son côté, l'Asie a été bien lotie lors de cette rencontre cinématographique où 22 films étaient en compétition officielle. L'actrice sud-coréenne Jeon Do-yeon reçoit un Prix d'interprétation féminine mérité pour sa magnifique prestation d'une femme accablée de malheurs, qui trouve, un temps, la rédemption dans le christianisme, pour ensuite repartir de plus belle dans ses cauchemars. Le film s'intitule Secret Sunshine et il est l'œuvre du cinéaste et ex-ministre de la Culture coréen Lee Chang-dong. " C'est la première fois que je viens dans un festival étranger et je suis honorée et heureuse d'y avoir participé et d'avoir reçu un Prix", a-t-elle dit devant la presse. " J'étais très tendue et j'ai tout fait pour arriver à me convaincre qu'il ne se passerait rien et que je n'aurais pas de récompense." La réalisatrice japonaise Naomi Kawase, qui avait remporté en 1997 la Caméra d'or pour Suzaku, repart avec le Grand Prix pour La Forêt de Mogari, la distinction la plus importante immédiatement après la Palme d'or. Projeté en toute fin de festival, ce film, qui rapproche deux générations par le biais d'un vieux monsieur et d'une jeune fille, possède une beauté mystérieuse, contemplative, née vraisemblablement du fait que la cinéaste veut nous faire sentir l'indicible présence de l'invisible. "Mon film est très japonais", a expliqué la douce Naomi Kawase, qui était en compétition en 2003 avec Shara. " Je pense que ce Grand Prix me permettra de montrer ce qui est réellement important. Je n'ai pas de message en particulier; s'il y en a un, il s'adresse au monde entier, à savoir que les choses invisibles sont aussi importantes que celles qui sont visibles." L'Europe de l'Est et Centrale est honorée une deuxième fois par le Prix d'interprétation masculine attribué à Konstantin Lavronenko, interprète du rôle d'un mari qui pousse son épouse à avorter et provoque ainsi sa mort dans Le bannissement, d'Andreï Zviaguintsev. L'acteur n'était pas là car, a expliqué le cinéaste russe, "le jury a pris trop de temps pour prendre sa décision". Zviaguintsev avait déjà fait tourner Lavronenko dans son premier long métrage, Le retour, Lion d'Or à Venise en 2004. Le retour, c'était quasiment ses débuts au cinéma, il avait 42 ans. Jusqu'à ce qu'on se rencontre, il n'avait consacré sa vie qu'au théâtre ", a expliqué Zviaguintsev, vantant les qualités de jeu de son interprète. Prix Spécial Le palmarès étant bien dispersé géographiquement, c'est un cinéaste allemand d'origine turque, Fatih Akin, qui repart avec le Prix du scénario pour De l'autre côté (Auf der Anderen Seite), tandis qu'un film mexicain, Lumière silencieuse (Stellet Licht) de Carlos Reygadas, remporte le Prix du jury, ex-aequo avec Persepolis, le dessin animé de l'Iranienne Marjane Satrapi et du Français Vincent Paronnaud. Loin de renier ses origines, la rebelle Satrapi a dédié son film "à tous les Iraniens", une manière de répondre aux protestations des autorités de son pays contre la présence de son film à Cannes. Reygadas a admis, lui, que la critique était "divisée" sur son film, au rythme très lent et aux admirables extérieurs. Mais peu importe puisque pour lui "les choses puissantes ne sont pas pour tout le monde". La France accède une deuxième fois au palmarès grâce à un cinéaste et peintre américain, Julian Schnabel, gratifié du Prix de la mise en scène pour Le scaphandre et le papillon, d'après la biographie éponyme de Jean-Dominique Bauby, l'ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire Elle. S'il y a un pays qui n'a guère brillé, ce sont les Etats-Unis, qui étaient pourtant arrivés en force avec cinq films dans la compétition. Aucun n'a été distingué, à l'exception du plus beau, Paranoid Park, de Gus Van Sant, Palme d'or en 2003 avec Elephant. Le jury lui a décerné un Prix spécialement créé pour l'occasion, le Prix du 60e Anniversaire. Déception aussi pour l'autre film russe en compétition, Alexandra, d'Alexandre Sokourov, autre film magnifique. Le jury ne pouvait contenter tout le monde.