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Un témoignage à fignoler pour l'histoire
KHALFA MAMMERI: ABANE, LE FAUX PROCÈS
Publié dans L'Expression le 10 - 06 - 2007

L'ouvrage de Khalfa Mammeri ne se lit pas facilement. Abane est mort d'avoir trop aimé l'Algérie.
Convoquant l'histoire, même si l'auteur se défend d'être un historien, le faux procès vous remue jusqu'aux tréfonds de l'âme, et interpelle les consciences sur les sombres périodes de l'épopée libératrice. Un homme de valeur en est mort, l'Algérie nous a, hélas, habitués à ces épisodes dramatiques, des drames qui marquent non pas une vie mais plutôt une histoire. La longue liste de «ceux de nos grands hommes tués par les leurs», renseigne sur la douleur de la construction d'une nation. Abane est mort d'avoir trop aimé l'Algérie.
Des hommes accusés par la rumeur ont besoin, du moins leurs mémoires, à ce que les uns et les autres se lèvent pour dire Basta. Le mal est trop profond, trop sérieux pour se contenter des on-dit et Khalfa Mammeri a tenté, à sa façon, de rapporter des morceaux du puzzle pour que la vérité éclate dans toute sa nudité. Mais il reste encore trop de zones d'ombre et le faux procès est venu s'ajouter au dossier de l'histoire afin d'exiger que les choses et l'enquête historique soient menées de façon impartiale afin de démontrer justement les horreurs de la guerre et ses scories.
Feuilleter l'ouvrage de Khalfa Mammeri: Abane Ramdane, le faux procès, c'est se replonger plusieurs années en arrière, durant les années difficiles du combat libérateur, quand un des plus grands patriotes, celui qui peut être surnommé le Jean Moulin de la Révolution, a été assassiné dans une villa à Tétouan au Maroc. Il est difficile de représenter aux jeunes générations celui qui, tour à tour, fut le Saint-Just, le Robespierre et le Jean Moulin de l'Algérie combattante. L'Algérie officielle ayant, et durant des décennies, enseigné une histoire pour le moins mutilée.
Le livre de Khalfa Mammeri nous invite doucement à découvrir cette dure facette du Mouvement national, celui de la liquidation entre frères.
On peut trouver à redire par exemple pour certains chapitres et lui reprocher ou une démarche ou une conclusion, mais l'auteur commence par avertir ses lecteurs qu'il ne fait pas oeuvre d'historien mais presque celle de journaliste a posteriori, se contentant de rapporter des informations basées, selon lui, sur des documents authentiques. Il n'entre pas dans le cadre de cette présentation d'analyser des faits, vieux de près de cinquante ans, mais de souligner les chapitres qui semblent les plus importants.
Mais avant cela, il semble opportun de signaler que dès sa libération de prison, Abane, et de l'avis de plusieurs moudjahidine de l'époque, contacté par Krim et Ouamrane à Azzouza, son village natal, près de Larbaâ Nath Irathen, entra dans les rangs du FLN/ ALN comme on entre en religion.
C'est que le digne fils d'Azzouza était prêt et avait, car ne pouvant le faire de derrière les barreaux de la prison, pris fait et cause pour le mouvement qui, alors, se proposait la libération par les armes de la patrie occupée.
Abane durant sa présence en Algérie et, notamment à Alger, se révéla un organisateur hors pair. Un organisateur doublé d'un remarquable politique qui ne transigeait jamais avec l'intérêt national. Cette facette de la personnalité du géant a été bien tracée par Khalfa Mammeri, lequel n'en doutons pas a bien cerné le personnage. Avec Krim Belkacem, le chef de la Wilaya III et véritable organisateur de l'ALN que d'aucuns ont d'ailleurs raillé parce qu'il était occupé à faire des bandes de partisans une armée au sens propre du terme, Abane, savait pouvoir se reposer sur des épaules solides et s'adonner ensuite à ce qui fut sa grandeur: la pensée politique et l'action psychologique. Le vieux maquisard sut d'instinct que sous son air bourru, Abane était un travailleur infatigable et il ne tarda guère à le démontrer aussi bien en organisant Alger, qu'en étant le principal animateur du Congrès de la Soummam.
Un congrès qui d'ailleurs, n'a pas tardé à voir fissurer la belle fratrie du combat.
C'est certainement le congrès, et c'est là que l'avis de Khalfa Mammeri diffère légèrement de celui de beaucoup d'observateurs, qui a signé l'arrêt de mort du héros. Khalfa Mammeri impute au caractère souvent coléreux d'Abane sa brouille avec les trois B. (Bentobbal, Belkacem Krim et Boussouf). Mais la colère et les traits de caractère d'Abane ne peuvent être les seuls mis en cause, d'autres divisions plus sérieuses séparent désormais Abane, devenu un géant, de ses autres camarades. Parmi ces différends, il y eut, dit-on cette tentative d'Abane, de faire adopter par tout le CCE, la primauté du politique sur le militaire, ce qui lui a valu inimitié de plusieurs «militaires».
D'ailleurs, le document prêté à l'auteur par Ouamrane, semble clair là-dessus. «...En ce qui concerne la prison, je m'associe à vous mais je suis contre la mort», clamait Ouamrane devant Krim et Boussouf venus l'alerter que Abane, selon eux, cherchait à les détruire. Accusé de se livrer à, «une propagande de démoralisation et de destruction, Abane fut condamné par trois membres du CCE à la prison».
Mais voilà Boussouf, qui ne l'avait jamais porté en son coeur en a décidé autrement. Accompagnant Krim et Mahmoud Chérif, au Maroc, Abane fut étranglé dans la soirée même par les hommes de main de Boussouf, et cela, au grand dam de Krim, qui pensait sérieusement à un enfermement. Les conditions d'accueil de Krim, Mahmoud Chérif et Abane, en disaient long sur les intentions de celui qui avait pris cette décision bien avant. Krim disait à Ouamrane, qu'il a été humilié car hué à son arrivée par Boussouf, sur le tarmac de l'aéroport. Le document remis par Ouamrane est très important en ce sens qu'il lave Krim de toute accusation de meurtre.
Il est certain que le Lion des djebels n'a, en aucune façon, voulu l'assassinat d'Abane, et ce ne sont pas les petites injures aghioul qui auraient pu pousser le négociateur d'Evian à assassiner un camarade de combat. Malgré tout ce qui peut diviser les deux hommes, beaucoup de valeurs les réunissaient. Dans Abane, le faux procès, le plus important et nous avons de la reconnaissance pour ce travail de Khalfa Mammeri, est justement de sauver et de donner à l'histoire un document pareil.
Cinquante ans après ce meurtre, resté impuni, le pays a besoin de savoir la vérifiable histoire d'Abane, le martyr.
C'est en cela que le faux procès reste un témoignage de valeur qu'il faut approfondir en faisant parler, le plus tôt possible, les acteurs de ces temps. C'est dire que ce livre a le mérite de braquer un grand coup de projecteur sur les autres acteurs de ces temps dont Ben Bella, Ali Kafi et quelques autres qui ont commis l'autre assassinat du héros national.
Khalfa Mammeri: Abane, le faux procès. Imprimerie Brise-Marine, Bordj El Bahri 2007


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