En cinéaste qu'il est, François Weyergans, emploie souvent le langage cinématographique pour parler de ses livres ou de sa méthode de narration. Avec François Weyergans, prix Goncourt 2005 pour son roman Trois jours chez ma mère, les choses sont simples car, dit-il, c'est avec la simplicité qu'on atteint à l'universel. Au cours de la discussion à bâtons rompus que l'équipe de L'Expression a eue avec lui, dans le jardin de l'hôtel El Djazaïr, l'homme est apparu décontracté, prêt à aborder tous les sujets, sans tabou, à la bonne franquette. Et l'un des détails sur lesquels il est plusieurs fois revenu porte sur son voyage à Taïwan: là, au Sud, dans la deuxième ville du pays, il est étonné, plutôt agréablement d'être accueilli par un parterre de 500 étudiantes et étudiants, alors qu'à Paris, avoue-t-il, on peut tout au plus s'adresser, -aussi bien à la Sorbonne, sur un plateau de télé, ou à Virgin,- à une assistance de moins de 80 personnes. C'est donc là, un peu, l'un des avantages de recevoir le prix Goncourt: il vous ouvre grandes les portes de l'univers et de...l'universalité. L'universalité est dans l'oeuvre elle-même. Dans le sujet abordé. Dans le style de l'auteur. Dans la traduction qui est faite de l'oeuvre dans les différentes langues. Et l'univers est dans les invitations qui sont faites à l'auteur; dans les voyages, les ventes-dédicace, les plateaux télés, les interviews dans les journaux, ces peuples bigarrés qu'il rencontre à l'occasion de tous ces voyages, ces paysages magnifiques qu'on ne manque pas de voir en se déplaçant d'une contrée à une autre. N'ayant obtenu qu'un visa de cinq jours, il faut dire qu'il s'y est pris avec beaucoup de retard, François Weyergans est tout heureux d'être en Algérie. Dans un pays où l'on peut lire son livre dans la langue d'origine. Néanmoins, une traduction en arabe est en cours de réalisation en Egypte pour s'adresser à un public plus large d'arabophones. Il le sait, et le dit tout de go: un prix comme le Goncourt, ça donne beaucoup plus de lecteurs. Ça tombe bien, car, dit-il, on écrit justement pour être lu. Quant au style et à la structure du récit, il reconnaît, ils sont un peu compliqués, à cause de ces romans dans le roman, toutes ces digressions. Ses amis, avant la publication, mais après le prix, tout est entré dans l'ordre. Des centaines de milliers de gens ont lu le livre, et l'ont apprécié tel qu'il est. Preuve qu'il a eu raison d'avoir gardé la structure d'origine. Même si, par ailleurs, il aime bien revoir, voire réécrire un roman, comme cela est arrivé avec Salomé, un roman qu'il avait écrit à l'âge de 27 ans (vers 1969) et qui n'a été édité qu'à soixante ans, en 2005, en même temps que Trois jours chez ma mère. Et qui s'est bien vendu, ayant sans doute profité, par ricochet, du prix Goncourt. Eh oui, dans le domaine livresque aussi, il existe ce qu'on peut appeler le marketing: le Goncourt, c'est connu, est une machine à vendre des livres, à fabriquer des best-sellers. Il ouvre, dès le départ, les plateaux télés pour faire la promotion, les pages des journaux pour des articles et des interviews, et bien sûr la série des ventes-dédicace. On cesse d'écrire pour s'occuper d'autre chose; alors que l'écriture est un acte solitaire, la promotion vous met, au contraire, en contact avec beaucoup de gens. Le livre venant à peine, généralement, d'être achevé, l'auteur n'a pas vraiment le temps de prendre du recul par rapport à son contenu. Alors qu'il est plus à l'aise avec un livre plus ancien. Narcissique, l'auteur? Non, dit-il, un roman, même quand c'est une fiction, vous emmène, au contraire, à vous ouvrir sur les autres: «Je suis moi-même lecteur. Il y a une sorte de miroir. Il faut laisser les gens venir, poser des repères. On part toujours du réel, et on remet tout cela dans le roman». En cinéaste qu'il est, François Weyergans, emploie souvent le langage cinématographique pour parler de ses livres, ou de sa méthode de narration. Il dira, par exemple: «Je fais un montage entre différentes parties du livre». Mais il est contre ces écrivains qui font des romans en espérant être repris par le cinéma. Ce qui les amène à faire des oeuvres hybrides, qui ne sont pas forcément adaptables au cinéma. Résultat, ils ratent le coche dans les deux sens. Cinéaste, oui, mais c'est l'écriture qui est venue la première, puisqu'il a commencé son premier livre à neuf ans. Un roman qu'il n'a jamais fini. Comme cela lui arrive souvent. Ses personnages ont toujours un projet. Cela n'est pas fait forcément pour donner un ressort dramatique à l'oeuvre, mais si inconsciemment, c'est un peu le cas. Mais plutôt parce que pour lui, il faut toujours avoir des projets. L'absence de projets équivaut à la mort. François Weyergans, lui-même, a envie d'écrire un livre sur un auteur qui a un projet de livre sur les volcans. Alors les gens lui demandent: «C'est pour quand ce livre sur les volcans»? François Weyergans est content d'être traduit dans plusieurs langues, même si traduction égale trahison. Certains traducteurs essaient, non pas de traduire les élites, mais plutôt de les expliquer, ce qui alourdit considérablement le texte. Mais enfin, il y a des choses auxquelles on ne peut échapper. Tout le monde n'est pas Samuel Beckett, qui traduit lui-même ses livres en anglais. Mais, Beckett est traduit dans d'autres langues que l'anglais. En arabe, par exemple.