L'organisation terroriste, dont les tentacules vont de Peshawar jusqu'au fin fond de la Mauritanie, n'a pas encore désarmé de voir l'Algérie à feu et à sang. En observant minutieusement la cartographie terroriste, on est tout de suite frappé par l'évolution sécuritaire qu'a connue la région de Boumerdès, zone «tampon» entre la capitale et la Kabylie. En y établissant son quartier général, le Gspc comptait, en premier lieu, investir une région qui avait relativement échappé à la domination du GIA. L'origine de ses chefs y est pour beaucoup dans ce choix. Abou Mossaâb Abdelouadoud alias Droukdel Abdelmalek, Abdelkader et Hassan Hattab sont tous originaires de la région de Bordj-Ménaïel, sans oublier, bien sûr, un certain Saâdaoui dit Yahia Abou Al Haïthem (isolé par Droukdel pour le partage de la ghanima). «L'une des priorités des chefs du Gspc est de suivre à la lettre les recommandations de Ben Laden et de se prémunir contre une éventuelle infiltration du GIA», ont confié des sources sécuritaires chargées du dossier de la sécurité. Le choix de Boumerdès répond à des critères géostratégiques. Favorisé par ses maquis qui font jonction avec les wilayas de Bouira et Tizi Ouzou, le relief du terrain permet aux groupes armés une relative liberté de mouvement, tout en étant près de la capitale. Cinq ans après sa création, le Gspc allait grandement tirer profit du chaos qui s'installait crescendo en Kabylie, à la suite des événements douloureux de Béni Douala. Descentes nocturnes, racket et kidnapping allaient être l'apanage et constituent, désormais, le credo pour cette organisation qui a opposé un niet aux offres de paix contenues dans la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Durant les années 1999 et 2000, des dizaines de terroristes graciés ont rejoint le Gspc dans cette région. A Dellys, Boudouaou, Boudouaou El Bahri, Si Mustapha, Tidjelabine et Bordj Menaïel, l'activité terroriste s'intensifie malgré les incessants coups de boutoir des forces de sécurité. Des émirs, à l'image de Karmiche et des éléments influents, ont été mis hors d'état de nuire. Plus de quarante terroristes ont été abattus depuis l'été 2006. L'ex-mufti, pris en charge, dès 1991, par Abdelkader Hattab (l'un des fondateurs du Gspc sous directive de Ben Laden), devenu émir national du Gspc, après le retrait de Hassan Hattab en juillet 2004, la neutralisation d'Abderazak El Para et la mise hors d'état de nuire de Nabil Sahraoui, n'a pas l'intention d'abandonner les armes. Il a plutôt hâte de prouver à ses hommes que les redditions ou les tentations de bénéficier des dispositions de la réconciliation nationale n'auront pas raison de sa détermination à aller jusqu'au bout dans sa logique criminelle. Même si la tragédie sociale, provoquée par le tremblement de terre de 2003, lui a offert un terreau favorable, l'émir national du Gspc est, aujourd'hui, devant un grand dilemme. Le 16 avril 2007, soit cinq jours après les attentats sanglants d'Alger, il est désavoué par son ancien chef, Hattab. Dans le même contexte, il est sévèrement dénoncé par Benmokhtar. Et des sources proches des familles de terroristes, activant dans la région de Boumerdès, ont affirmé que de nombreux éléments armés, qui s'étaient opposés à Hattab en refusant toute discussion sur l'offre d'amnistie, lui ont rendu visite et lui ont fait part de leur décision de ne pas suivre Droukdel dans sa dérive sanguinaire. Plus question, cependant, pour Droukdel de reculer. Selon des sources sécuritaires, son fief lui permet non seulement de «toucher» Bordj El Kiffan, Bouira et Tizi Ouzou... mais de frapper au coeur de la capitale. En plus, la région de Boumerdès offre des spécificités sur les plans géographique, urbain et implantation des populations. Eparpillés en petits groupes, extrêmement mobiles et bénéficiant d'une région fortement boisée et d'une densité supérieure à la moyenne nationale, les groupes armés, sévissant en ces lieux, échappent souvent aux ratissages réguliers et continus, grâce à leurs «yeux» installés partout. Vu la configuration des lieux, il est extrêmement difficile d'engager des centaines d'hommes et du matériel lourd dans pareille région. Droukdel et ses complices sont tout à fait conscients de cette situation et en tirent le plus grand profit. A l'inverse de Blida, ville-garnison, Boumerdès-ville est réputée pour être un haut lieu de savoir puisqu'elle abrite de grandes écoles. La région est réputée aussi pour son intense activité commerciale, son trafic de sable et par un extraordinaire mouvement de la population. Qu'ils soient 300, 200 ou 180 (les chiffres ne sont pas établis avec exactitude), les terroristes encore en activité dans la région de Boumerdès n'ont pas totalement perdu leur capacité de nuisance, ont souligné nos sources. Pas question donc de laisser place à un quelconque relâchement, pas de répit car selon les mêmes sources, pour chaque terroriste abattu par les forces de sécurité, un jeune désoeuvré est recruté, quitte à enrôler des adolescents. Même si le choc des kamikazes du 11 avril 2007, a, semble-t-il, porté un coup d'arrêt. Il ne faut pas s'y fier. Tant que cette crise sociale perdure, les groupes armés auront toute latitude pour recruter des jeunes désespérés. Dans les années 70, la ville de Boumerdès avait acquis la réputation d'une cité aux consonances soviétiques. L'INIL, l'INH et l'IAP, les instituts d'études supérieures de l'Algérie socialiste étaient dominés par l'encadrement russe. Le Printemps berbère en 1980, la crise économique et sociale qui a commencé à pointer du nez, dès le début des années 80, et s'est aggravée par la suite, le tremblement d'octobre 1988 et l'apparition de l'islamisme radical ont fini par transformer l'image de la ville. Les groupes armés, qui ont instauré l'insécurité à Bordj El Kiffan et à Aïn Taya, provenaient de cette région qu'ils utilisent comme une zone de repli. L'attentat sanglant qui a coûté la vie à Kasdi Merbah est toujours présent dans les mémoires. L'assassinat de Tahanouti, président de la JSBM, club phare de Bordj Ménaïel, et les deux soeurs sauvagement décapitées dans cette même ville hantent toujours les esprits. Les dizaines de terroristes, qui avaient pris en otage cette région dès 1992, sont issus des rangs du FIS dissous ou du syndicat islamique du travail dissous lui aussi. Une autre particularité de cette région: la revendication identitaire y est présente et l'islamisme y est très actif. Il s'agit d'une région qui a connu de nombreux troubles. En un mot, un terrain fertile pour l'agitation. Tout cela, le Gspc le sait et tente, aujourd'hui, par tous les moyens, de le mettre à la disposition d'Al Qaîda. Cette nébuleuse, dont les tentacules vont de Peshawar jusqu'au fin fond de la Mauritanie, n'a pas encore désarmé de voir l'Algérie à feu et à sang. Lorsque Ayman Zawahiri avait dit, dans un de ses enregistrements sonores, que le Gspc va se transformer en «une épine dans la gorge de la France et la Grande-Bretagne», il sous-entendait que ses frappes allaient venir de l'Algérie, à partir de Boumerdès, plus précisément. Déployant fièrement son allégeance à Al Qaîda comme un trophée, Droukdel est vite gagné par «la folie des grandeurs». Il se voit déjà à la tête d'une organisation d'une conception perverse de la charia désignée de djihadiste, menaçant l'Algérie, le Maghreb et l'Europe. Décidément, Boumerdès est bien au centre d'un enjeu qui dépasse de loin le contexte de cette région. Al Qaîda compte bien s'en servir comme rampe de lancement.