Utopique oui, mais certaines utopies ont parfois du bon si elles suscitent un vrai débat sur le devenir du continent africain. Le «Grand débat» tel est l'intitulé du dialogue initié par l'Union africaine autour de la création d'un «gouvernement» africain dans le cadre des «Etats-Unis» d'Afrique. L'idée est, en vérité, séduisante, mais reste en tout état de cause, comme cela est apparu lors des premières discussions entre les dirigeants africains, à l'état d'ébauche quand, sinon l'Afrique, du moins ses responsables, ne sont ni prêts, ni préparés à ce bond qualitatif de la gouvernance unitaire dans un continent africain marqué par moult problèmes souvent insurmontables. En fait, les dirigeants africains, s'ils s'affirment tous en faveur d'un tel gouvernement africain, sont toutefois très divisés sur les voies et moyens d'y parvenir et sur le rythme avec lequel il doit être mis en place. Beaucoup estiment, en fait, que ce ne peut être là, en tout état de cause, qu'un voeu, un idéal à concrétiser pour le long terme, mettant en exergue les disparités de développement existantes entre les divers Etats africains. Aussi, avant même que de s'ouvrir, le débat s'annonçait ardu. Ce qui explique que celui-ci, ouvert lundi à Accra, en marge de la neuvième session ordinaire de l'UA, s'est déroulé en petit comité exclusivement réservé aux seuls chefs d'Etat et de gouvernement ou leurs représentants, en l'absence des médias non admis aux discussions. Ainsi, des choses ont été dites dans l'enceinte de la salle de conférences d'Accra, et le «huis clos» instauré avait donc pour objectif d'empêcher que, ce qui allait être dit, soit entendu par des oreilles «non autorisées». Outre le colonel El Gueddafi, initiateur et promoteur du projet controversé d'«Etats-Unis» d'Afrique, le Sénégal et le Gabon sont les deux autres pays les plus engagés pour la concrétisation de cette idée appréhendée, en revanche, avec beaucoup de scepticisme par un grand nombre d'Etats, en premier lieu l'Afrique du Sud et le Nigeria qui s'y s'opposent fermement, qui représentent deux des plus grands pays du continent et sont, en même temps, cofondateurs du Nepad (Nouvelle initiative pour le développement de l'Afrique). A contrario, le Gabon défend la mise en place rapide de ce gouvernement africain dans les plus brefs délais. A cet effet, le vice-Premier ministre et ministre gabonais des Affaires étrangères, Jean Ping, estime qu'«il faut un Exécutif de l'Union, quel que soit le nom qu'on lui donne. Tout le monde est d'accord sur la création d'un Exécutif africain». M.Ping explique que «cet Exécutif peut être la Commission avec des pouvoirs renforcés ou bien une autre structure. Mais il faut que l'on arrive à un accord» soulignant que «nombre de problèmes ne peuvent être réglés en Afrique que collectivement, c'est le cas, par exemple, de la sécurité». Certes, mais la question semble plus compliquée que l'on peut le supposer lorsque entrent, en lieu de compte, les prérogatives de souveraineté qu'aucun Etat, en l'état actuel des choses, n'est prêt à abandonner, ne serait-ce qu'une parcelle, au profit d'un gouvernement africain supranational. En fait, l'ancienne OUA (Organisation de l'Unité africaine) avait échoué parce qu'elle a buté sur le veto des Etats africains qui refusaient de lui céder une partie des pouvoirs détenus par les Etats. C'est ce même problème qui se pose aujourd'hui à l'Union africaine laquelle, si elle veut réellement jouer le rôle attendu d'elle de locomotive du développement tous azimuts de l'Afrique, se trouve ainsi bridée par cet impondérable. Pourtant, jamais une organisation africaine n'a été aussi mieux structurée et ses missions précisées et mieux encadrées que ne l'est, aujourd'hui, l'Union africaine avec ses démembrements que sont les diverses commissions, autant de départements ministériels, de fait auxquels manque seulement ce pouvoir de décision qui fait toute la différence. En fait, l'Union africaine, telle qu'elle existe aujourd'hui avec ses Commissions, notamment la Commission de la paix et sécurité (CPS, un véritable Conseil de sécurité africain, qui a déjà pris en charge des dossiers comme ceux du Darfour et de la Somalie) configure, d'ores et déjà, ce que sera un futur gouvernement africain doté de tous les moyens lui permettant d'agir. En réalité, le panafricanisme, ou comme l'on dit aujourd'hui, un gouvernement africain d'union, est un vieux rêve d'unité porté, avant même les indépendances, par des leaders africains, qui a buté, outre sur l'obstacle que constituaient les puissances coloniales, sur le poids des traditions qui n'ont pas permis aux Africains de se rassembler. Aujourd'hui, les guerres civiles, les problèmes de frontières toujours non résolus pour certains pays, les diversités de gouvernance laquelle va de la dictature pure et dure au libéralisme le plus abusif ne sont certes pas des conditions optimales pour édifier les «Etats-Unis» d'Afrique qui, à l'évidence, attendront des jours meilleurs pour s'imposer comme seule solution aux Africains. Notons que le sommet de l'Union africaine, qui s'est achevé hier, n'avait pas encore publié de communiqué final au moment où nous mettons sous presse.