«L'indépendance conquise, là est l'épopée, l'indépendance acquise, là est la tragédie». Aimé Césaire Exception faite des premières années de l'indépendance où l'aura de l'indépendance permettait de maintenir vivace la flamme de la fierté d'être Algériens, le pouvoir, détaché du corps social, fête comme à son habitude, et dans l'indifférence la plus totale des Algériens, un anniversaire fétiche et galvaudé par une gestuelle commémorative d'un autre âge. Il n'est pas question de faire ici le bilan, il n'est que trop connu. Chaque période a eu ses zones d'ombre et ses quelques avancées. Sans conteste, la période Boumediene caractérisée par un muselage des libertés a permis à l'Algérie de se bâtir. Naturellement, il y eut des erreurs mais qui n'en fait pas? A la lecture des éditoriaux de certains journaux, nous avons «fait tout faux». En toute objectivité, nous n'avons pas le droit de «jeter le bébé avec l'eau du bain», mais certaines vérités doivent être dites L'ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, dressant un constat amer de la situation du pays avance que: «Nous sommes dans une impasse» Il considère qu'il est temps de sortir «de la trappe des transitions permanentes» en passant par «un processus de libéralisation politique». Plaçant le thème de «gouvernance et démocratie», il dira que l'accès à la rente pétrolière peut servir à freiner les libertés. «L'Etat utilise la rente pour alléger la pression sociale et transforme les institutions en canaux à des finalités distributives au lieu d'instaurer la démocratie». Oui, le tableau est noir, mais la réalité est implacable. Les Algériens méritent mieux. Oui, les Algériens méritent mieux. Comment faire? Avant toute chose, il nous faut enfin comprendre que la force vive n'est pas dans les élus issus de simulacres d'élections qui ne représentent qu'eux-mêmes ni dans cette hypothétique famille révolutionnaire- qui a pris en otage l'immense sacrifice des chahids martyrs de la révolution et des Moudjahidin qui ont fait que nous sommes indépendants. La force vive de la nation se trouve dans le million d'étudiants qui veulent partir à la conquête de la science, dans les 400.000 élèves de la formation professionnelle et dans les 8 millions d'enfants, véritables pépinières de créateurs de richesse si on sait faire ou de marginaux si l'Ecole continue comme par-devant à libérer chaque année des cohortes d'analphabètes. A ce titre, la dernière mascarade de la révision des critères de passage en 1ere année secondaire est une nouvelle plaie ouverte dans le flanc du système éducatif déjà bien mal en point. Comment d'une façon aussi désinvolte, jeter aux orties le travail de commissions qui ont planché de longs mois pour contribuer aux critères de réhabilitation de l'école par l'élévation du niveau scolaire, et le remplacer par une oukase de la centrale faite plus pour le populisme que pour la rigueur? La force vive de la nation est aussi, la jeunesse qui ne sait pas ce que c'est que l'indépendance si ce n'est un rituel que nous inflige chaque année «l'unique» avec les mêmes trémolos poussiéreux. Oui, l'Algérie a régressé, nous savions faire beaucoup de choses avec de faibles moyens dans les années soixante-dix. Certes, la période de Boumèdiène que l'on peut qualifier globalement de féconde, a permis la création d'un tissu industriel, notamment dans le domaine pétrolier et qui a permis d'atténuer notre dépendance. Certes, tout ne fut pas rose, notamment concernant les libertés, mais l'Algérie avait sa place dans le concert des nations. Présentement, l'Algérie est devenue un marché de 20 milliards de dollars, nous importons tout, nous ne savons plus rien faire. Les partenariats sont une vaste blague et notre tissu industriel ou ce qu'il en reste qui peine à se redéployer est sacrifié au nom de la liberté de circulation des capitaux, du libre-échange, de notre hypothétique entrée dans l' OMC qui ne veut pas de nous. Nous exportons notre énergie plus que raisonnable au vu de notre capacité d'absorption financière, au nom de notre responsabilité vis-à-vis de nos partenaires sans avoir à l'esprit notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. Le Service national, colonne vertébrale s'il en est de la cohésion sociale, et qui constituait le creuset de cette quête de la nation, est banalisé au profit d'une mimétique professionnalisation qui n'est d'ailleurs pas en contradiction avec la nécessité pour l'Algérie d'inventer un besoin d'unité, un désir d'unité dans la diversité. Ce que nous constatons c'est une panne dans l'action, les différents gouvernements par manque d'imagination surfent sur les sentiments superficiels. On soporifise, voire anesthésie cette jeunesse en lui donnant à consommer de l'éphémère: la musique et ce qui va avec et le football pour être en phase avec le modèle de la société de consommation à l'occidentale que l'on fait apparaître comme le «Graal» repoussant toujours plus loin - rentre pétrolière aidant-le réveil douloureux. Pendant ce temps-là, en Occident justement, d'autres s'occupent de boucliers antimissiles, d'aller sur Mars, de nanotechnologie. En définitive, sommes-nous une nation ou un assemblage d'individualités mu par l'intérêt et qui ne s'assoient entre eux que pour vaincre les autres au nom de la ‘ourouchya, ce que Ibn Khaldoun appelle la «aççabya». Au XXIe siècle, cet atavisme nous suit et nous colle à la peau du fait que les princes qui nous ont gouvernés depuis l'indépendance n'ont pu régner que par l'exaspération des différences qui, sous d'autres cieux, sont des richesses mais chez nous des tares. Avons-nous ce désir d'être ensemble pour constituer une nation? Il faut reconnaître que la colonisation a permis le temps de la colonisation aux Algériens de se sentir appartenir à une unité ethnique civilisationelle, voire religieuse, que le colonialisme a tenté vainement de dissoudre. Tant que nous n'aurons pas fait une autre révolution, celle de définir un projet de société, voire un projet civilisationnel multidimensionnel, nous ne serons toujours que l'ombre de nous-mêmes. A force de louvoyer en ne posant pas clairement les enjeux à la fois internes et externes (la place de l'Algérie dans le monde), nous en serons toujours à errer, l'erreur est en nous et le salut est en nous. Bon anniversaire aimée et souffrante Algérie, ton destin n'est pas scellé dans le marbre. Il sera ce que ses meilleurs enfants seront capables de transformer une utopie en une heureuse réalité. Nous tournerons le dos alors à l'amateurisme et les mères algériennes ne pleureront plus leurs enfants qui veulent s'évader à tout prix, même celui de leur vie.