Dick Cheney a pris la semaine dernière son bâton de pèlerin pour convaincre les pays arabes, amis et alliés de Washington, de soutenir la campagne que les Etats-Unis comptent engager contre l'Irak. Les pays arabes, visités jusqu'à hier, ont fait comprendre au vice-président américain leur opposition à une telle opération insistant sur le fait que ses retombées seront négatives, voire catastrophiques, pour la région. Point sur lequel n'a pas manqué de revenir le prince héritier saoudien, Abdallâh Ben Abdelaziz en recevant, samedi, Dick Cheney. Le fait est que l'Irak est devenu, ces dernières semaines, la préoccupation majeure de l'administration américaine, à l'évidence désireuse de faire un sort au régime du président Saddam Hussein. Ainsi, dans de violentes diatribes, le président américain, George W. Bush, s'en est-il pris, le 29 janvier dernier, personnellement, au président irakien Saddam Hussein notamment. Du haut de la force écrasante qui est celle des Etats-Unis, le président Bush pouvait parler haut et fort et se trouve, dans son bon droit, à distribuer les mauvais points et les accessits. Certes ! Cependant, cette croisade contre «l'axe du mal» est une politique à courte vue et, quelque part, égocentrique, ne prenant en compte que les seuls intérêts des USA et la sécurité des citoyens américains, quand l'ensemble de la communauté internationale n'a cessé de mettre en garde contre l'aventure d'une nouvelle guerre dans le Golfe. Ainsi, Washington s'est donné le droit d'imposer en toute «souveraineté» ses règles et jugements sur ce qu'il convenait de faire, dans un contexte marqué par la tension vécue de la même manière par la communauté internationale concernée, au même titre que les Américains, autant par la tragédie vécue le 11 septembre que par la lutte contre le terrorisme, induite par la montée en puissance du terrorisme international. Mais, dans la logique de leur guerre contre le terrorisme, les Américains, outre le fait d'ignorer leurs alliés, refusent tout autre alternative à la force qu'ils emploient sans beaucoup de considération, pour la vie des gens et de leurs biens, sinon celle de parvenir à leurs fins. Quels sont-ils? L'élimination des taliban, la dislocation de l'organisation, présumée terroriste, Al Qaîda, ne devaient-elles pas permettre de revenir à la légalité internationale, à plus de pragmatisme, par le rétablissement du dialogue entre les nations avec, en point de mire, le retour des Nations unies aux affaires de la communauté internationale? Les USA peuvent-ils se substituer, à la légalité internationale, représentée par l'ONU, sans crainte d'outrepasser leurs objectifs, en s'appuyant sur leur potentiel militaire, en usant de la force comme seul principe de police en tout lieu et tout le temps? Cela n'est point évident, car si la force peut être persuasive un moment, et même dissuasive, à dose raisonnable, elle peut avoir des résultats contraires lorsque l'on en abuse et qu'on l'utilise, a fortiori, pour assouvir une revanche. L'échec des Américains au Golfe, particulièrement leur déconvenue à mettre à genoux le peuple irakien après plus de dix années de blocus, à déboussoler le président Saddam Hussein, administre bien les limites de la force comme unique vecteur de contrainte. La force pour la force dans la crise du Golfe a bel et bien failli, quoique persistent à penser les stratèges américains. Certes, nous ne disputons pas aux Etats-Unis le fait qu'ils peuvent, en deux coups, rayer l'Irak de la carte. N'est-ce pas là l'une des options du «plan opérationnel intégré» qui fait de l'Irak l'un des objectifs d'une éventuelle attaque nucléaire? De fait, les Américains n'ont-ils pas déjà détruit l'Irak en 1991. Ne l'ont-ils pas renvoyé cent ans en arrière, comme l'assurait, à l'époque, le général de corps d'armée Schwarzkopf, chef d'état-major de l'expédition coalisée? Depuis, Washington n'a cessé ses bombardements ponctuels sur l'Irak, sans autre résultat que celui de renforcer la position de celui qu'ils disent vouloir détruire au sein de son peuple. Est-ce cela ce qu'ils recherchent? Sans doute pas ! Aussi bien leur puissance militaire est de peu de conséquence dans le cas qui nous occupe et où la force s'est révélée inopérante alors que l'Amérique impose depuis dix ans, dans l'illégalité la plus totale, un blocus exorbitant à 25 millions d'Irakiens. Tout cela pour avoir la peau d'un dictateur, honni par son peuple, sans doute, mais qui, par la force des choses, est devenu un héros, car il tient tête au pays qui, sans raison, a décidé d'humilier et de mettre toute une nation en marge de l'humanité. La réticence de l'Union européenne à s'engager dans ce qui apparaît comme une aventure, le refus des monarchies du Golfe à ce que leur territoire serve à une frappe de l'Irak, montrent combien Washington, fort du seul soutien de Londres, éprouve des difficultés à faire admettre une expédition contre l'Irak (en dehors de la légalité internationale et couverte par une résolution de l'ONU), porteuse de grands dangers pour la stabilité du monde. Seul Washington ne semble pas vouloir voir tout ce qu'il y avait de hasardeux dans une opération qui pourrait être suicidaire pour la paix dans le monde.