A T'har (El Milia), tout le monde pleure Samy «le martyr». Il était un peu avant midi, lorsque nous sommes arrivés à T'har, nom anonyme d'un des nombreux villages et douars de la périphérie de la ville d'El Milia et où la misère vous prend à la gorge et vous crie toute la détresse de ces villageois démunis, qui luttent pour la survie. Il était long et sinueux le chemin qui nous a menés à la demeure familiale où habitait le soldat Bouabaz Samy, a qui une main criminelle a volé la vie à la fleur de l'âge, un 11 juillet 2007 à Lakhdaria. Samy avait 20 ans. Il accomplissait son Service national depuis six mois. Il voulait se libérer vite de cette charge afin de se consacrer à sa famille, sa mère Tétouma, sa soeur et ses cinq frères. Il avait plein de projets dans la tête. Tout ce qu'il voulait, c'était redonner un peu d'espoir à sa maman et l'aider à supporter le vide laissé par le père, décédé il y a sept ans. Samedi 14 juillet 2007. La «chaumière» des Bouabaz grouillait de monde. Ils sont venus de partout pour présenter leurs condoléances à une mère complètement abattue, qui n'arrivait pas à saisir l'ampleur de la tragédie. Mais une mère pleine de dignité. Une mère dont les larmes ne tarissent pas depuis qu'elle a reçu la triste nouvelle. Elle ne s'attendait pas à évoquer le prénom de son fils au passé, de sitôt! C'est le destin, lui rappelle-t-on. Elle acquiesce, mais ne supporte pas encore l'idée qu'il a été enterré jeudi dernier. «Il voulait se sacrifier pour sa mère et sa famille, mais la volonté divine lui a réservé un sort plus grandiose. Il s'est sacrifié pour sa patrie», souligne-t-on dans son entourage familial. Samy n'a, certes, pas eu le temps d'épargner à sa mère de trimer à longueur de journée dans les jardins potagers pour subvenir aux besoins de la famille. Mais sa mémoire ne le quittera plus jamais. Al Qaîda vient de lui enlever une partie de son âme. Pour sa soeur, Samy était un modèle de bonté et de générosité: «C'est grâce à lui que j'ai pu compléter mon trousseau et me marier», dit-elle en pleurs. Et des pleurs, il y en avait. Un de ses frères, Nabil, son aîné, se révolte et crie sa colère contre Al Qaîda et son pseudo-djihad qui consiste à tuer les innocents. «Les véritables moudjahidine sont les éléments de l'ANP, la gendarmerie et la police qui luttent contre ces criminels», déclare-t-il, en contenant avec peine sa tristesse et sa colère. A propos de son frère Samy, il voulait devenir policier dès la fin de son Service national. Le camion de la mort en décida autrement. Parti à un âge où on commence à rêver, il a laissé un vide sidéral dans la famille. En l'assassinant, Al Qaîda a plongé toute une famille dans la tragédie ainsi que les familles des autres victimes. En lui ôtant la vie de façon abjecte, Al Qaîda a montré le hideux visage d'une organisation sans foi ni loi. Cela, tous les Algériens le savent. A T'har, ce village qui relève de la daïra d'El Milia, wilaya de Jijel, qui sent l'abandon, la famille Bouabaz occupe une très modeste demeure, mais paradoxe de l'existence, elle n'a pas d'adresse! A T'har, tout le monde pleure Samy «le martyr». «Mon fils est un chahid. Je suis fière de lui, que Dieu soit loué et vive l'Algérie», dira cette pauvre mère de 49 ans en sanglots. Ses larmes brûlantes ne pouvaient laisser indifférents. «Mon fils était un soldat», et cela ne veut rien dire dans des circonstances pareilles pour sa maman qui pense «qu'ils soient officiers, soldats, ce sont tous les enfants de l'Algérie.»