L'attentat à la bombe de la rue de Chartres, au coeur d'un quartier populaire d'Alger, ravive les pires craintes terroristes sur la capitale qui n'avait plus connu pareille opération depuis plus de trois années. Les Algérois, qui s'étaient habitués à une certaine quiétude depuis les sanglants attentats à la bombe de 1995-1996, se sont réveillés au bruit d'une explosion qui réanime quelques inquiétudes. Au regard de la faible charge de l'explosif utilisée et son aspect artisanal, ainsi qu'au regard du maillage sécuritaire qui encadre Alger et sa ceinture sub-urbaine qui en fait un «sanctuaire» inviolable depuis fort longtemps, on ne peut pas avancer que cet attentat, qui a fait une trentaine de blessés, dont deux graves, pourrait provoquer une psychose. Mais, c'est au coeur d'Alger que cette bombe a explosé, ce qui peut donner à explication d'un phénomène terroriste que les citadins ont cru révolu. D'abord, l'explication la plus plausible réside dans le fait que l'infiltration d'un groupe terroriste - Gspc ou GIA - dans Alger intra-muros, est dorénavant de l'ordre du possible. Les dernières poches terroristes recensées dans l'Algérois se situaient précisément dans la périphérie ouest de la ville qui s'étend de Djbel Koukou à la forêt de Baïnem qui fut depuis «nettoyée». Mais aucun groupe n'est arrivé à se reconstituer depuis l'élimination du réseau de Hocine Flicha qui sévissait dans La Casbah et avait ses replis sur les flancs de Bouzaréah. Au GIA a tenté de succéder le Gspc de Hassan Hattab qui, entre 1999 et 2000, avait la ferme obsession d'investir Alger. Deux commandos de quatre terroristes ont été «exfiltrés» depuis la Basse Kabylie dans Alger, mais n'ont pas pu franchir la ligne fatidique pour pénétrer dans la ville. Le premier groupe a été intercepté à Bab Ezzouar alors que le second tombait dans une souricière du côté de Bordj El-Kiffan. Depuis, ces incursions se faisaient rares même si l'assassinat de deux policiers du côté de Kouba plaidait pour l'existence d'électrons libres qui demeurent recherchés en se terrant dans la capitale. Les craintes des spécialistes antiterroristes sont que cet attentat soit soutenu par une logistique émanant de «réseaux dormants». Malgré la neutralisation de Flicha, quelques tentacules de la pieuvre n'ont pas été complètement sectionnés. Cela n'a pas inquiété beaucoup de monde du moment que ces réseaux n'étaient pas «opérationnels». Mais rien n'indique que ce n'est pas le début d'une campagne. La confection d'une bombe - même artisanale - et son acheminement ne sont pas une mince affaire. Ils supposent des relais bien en place. Le fait qu'une autre bombe, du même type, ait explosé, mardi soir, à Berrouaghia, plaide pour une reprise de la fabrication de bombes et la disponibilité des ingrédients qui la composent. Mais une autre hypothèse, plus sérieuse, semble tarauder les experts et qui consiste à dire que c'est davantage un attentat «médiatique» de la part du groupe salafiste. En effet, trois mois auparavant, une opération antiterroriste, peu commentée, a eu lieu du côté d'un haouch à Benzerga, l'ancien fief familial des Hattab. Cinq terroristes ont été accrochés dont trois vivants qui ont livré des informations sur l'existence d'un plan du Gspc pour expédier certains éléments, dès cet automne, pour commettre des attentats dans la capitale. Le renforcement du dispositif a été visible depuis, surtout avec le Festival mondial de la jeunesse, où aucune alerte sécuritaire n'a été signalée. Sachant que les massacres et les faux barrages à répétition dans l'Ouest algérien, malgré le nombre élevé des victimes, ne peuvent avoir un impact médiatique important, un attentat «réussi» à Alger mobiliserait plus aisément l'attention des médias nationaux et étrangers. Mais l'objectif politique n'est pas absent. La bombe de la rue de Chartres va résonner davantage dans les cercles politiques qui tentent de pousser à la rupture avec une réconciliation avec une aile de l'ex-FIS. En augmentant la pression terroriste, Hattab joue la carte des islamistes radicaux qui veulent réinsérer Abassi Madani et Ali Benhadj dans le jeu politique et «négocier» en position de force. Un attentat au centre d'Alger, avec son impact particulier pour contrecarrer les résultats convaincants de la politique de la concorde civile en coupant l'herbe sous le pied des «historiques» du FIS. C'est précisément le même type d'opérations que celui qui avait ciblé Abdelkader Hachani, précisément à Bab El Oued, en lui envoyant un assassin qui s'est pratiquement sacrifié pour pouvoir l'abattre. Au moment où Bouteflika s'achemine vers une réconciliation nationale qui a reçu le soutien d'anciens dirigeants islamistes, politiques et militaires, ces bombes explosent dans un synchronisme troublant. Une façon comme une autre pour les commanditaires islamistes du terrorisme de signifier la continuité de leur capacité de nuisance.