Lakhdar Ezzine a écrit dans beaucoup de journaux, en tant que reporter, chroniqueur, éditorialiste. Aujourd'hui, cette plume libre et ce libre-penseur nous assène quelques vérités à ne pas prendre à la légère. Dans ce livre, qui est une compilation des articles du journaliste chroniqueur Abdelkrim Lakhdar Ezzine, l'auteur revient, entre autres à la page 133, sur l'épisode du quotidien Liberté, dont le fondateur a été injustement dépossédé au beau milieu des années 90 dans des conditions obscures, à la suite d'une cabale médiatico-judiciaire qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Mais d'abord, qui est l'auteur de ce livre? Abdelkrim Lakhdar Ezzine avait appris dans la rubrique «Autrement dit» de l'hebdomadaire Algérie-Actualité à se défier de la langue de bois. Il fut du reste l'un des animateurs attitrés de cette rubrique, aux côtés d'autres plumes comme Amar Zentar ou Kamel Zemouri. C'étaient des articles au vitriol qui dérangeaient beaucoup de gens, mais que les lecteurs attendaient avec beaucoup d'impatience. Lakhdar Ezzine, cet ancien documentaliste au quotidien El Moudjahid, fut rapidement happé par le journalisme, cette envie d'écrire qui vous prend à la gorge et qui ne vous lâche plus. Du reste, comme il aimait l'action, il eut à partager ce hobby entre la rubrique sportive, qu'il affectionnait, et les commentaires acides d'«Autrement dit». La particularité de cette dernière est de réunir des billets dans une seule page, qui pouvait embrasser aussi bien des faits politiques que des faits de société, sans se départir de ce qui faisait leur spécificité, un humour corrosif que recherchaient les lecteurs. Tous ceux qui connaissent Abdelkrim Lakhdar Ezzine savent que c'est un homme qui déborde d'énergie, et qui en a donné la preuve en multipliant les initiatives, d'abord en tant que journaliste du secteur public, puis depuis l'entrée de l'Algérie dans le multipartisme et la libéralisation de la presse de la tutelle de l'Etat et du parti unique. A ce titre, on peut citer les quelques journaux qu'il a fondés ou à la fondation desquels il a participé. Il y a eu d'abord la revue Le Doyen (1989-1990), Le Chroniqueur qu'il a fondé avec Abdelkader Safir (1990-1992), Algérie Confluences et nouvelle édition du Chroniqueur. Il a également été éditorialiste au quotidien L'Opinion et directeur de rédaction de L'Authentique. Malgré un CV aussi riche, il est bon de préciser que Lakhdar Ezzine est un journaliste qui aime sortir des sentiers battus; ramant souvent à contre-courant et apportant une voix différente, originale, en marge de ce que l'on peut appeler le politiquement correct. Sa différence, il l'affiche superbement à chacun de ses écrits, n'hésitant pas à égratigner ses confrères qui ne pensent pas comme lui...C'est de bonne guerre, puisque c'est l'essence même de la liberté d'expression de permettre un tel foisonnement d'opinions et une telle liberté de ton. La Danse du hibou est ainsi une compilation de textes et d'articles que l'auteur a publiés dans de nombreux canards et qui remontent aux années 80, alors que d'autres sont d'ancrages plus récents. Dans la Danse du hibou, en fait, il nous vient à l'esprit qu'en arabe algérien, hibou se dit bourourou, et il est de sinistre augure, ce qui amène Lakhdar Ezzine à estimer que dans une société en pleine déliquescence, qui a perdu totalement tous ses repères et où la notion de valeur, valeurs morales, traditionnelles, intellectuelles, de compétences ou de talent, a perdu sa signification, où la notion de valeurs a perdu ses valeurs. Il n'y va pas avec le dos de la cuillère, quand il s'agit de pourfendre les injustices. Ainsi, on peut lire cet article succulent, dans lequel il note (cela se passait en 1983) que le vénérable El Moudjahid avait apporté des correctifs au bulletin météorologique, le jour de l'ouverture d'une réunion du comité central du FLN. Ainsi est Abelkrim Lakhdar Ezzine. Rien n'échappe à son regard de vigile, d'observateur attentif de la scène nationale; mais c'est vrai qu'il se considère lui-même comme un poète, un troubadour. Une sorte de Baudelaire des quartiers d'Alger et des hauteurs de Médéa et des gorges de la Chiffa, en passant par le Ruisseau des singes. «Me revoilà! écrit-il en 1997. C'est encore moi! Moi, avec ma tête de poète! Le coeur porté en bandoulière et le nez dans les étoiles!» Ce qui ne l'empêche pas de porter un oeil lucide sur l'actualité nationale, qu'elle soit politique, ou médiatique. Car Lakhdar c'est aussi cela. Quelqu'un qui n'hésite pas à égratigner ses confrères, conscient qu'il ne se fait pas que des amis. Un féru de la presse, quelqu'un qui ne s'empêche pas toujours de s'amuser au plus haut point de tout ce qui se passe dans ce milieu particulier, qui n'est pas aussi fermé que cela. Par exemple, traitant du quotidien Liberté, il note: «Et ce n'est certainement pas à un journal qui s'est ligué dans les manoeuvres sordides et les tractations coupables contre son fondateur et concepteur pour le jeter dehors, de venir aujourd'hui professer des leçons de morale.» Il veut bien entendu parler de Ahmed Fattani, fondateur de Liberté qui en fut dépossédé. Bien entendu ce ne sont là que quelques lignes, tant l'histoire de ce grand quotidien national reste à écrire pour apporter toute la lumière sur ce qui s'est passé durant ces années sombres du terrorisme. Où tous les coups étaient permis pour certains.