La campagne de harcèlement contre la presse indépendante s'accentue. Les procès contre les journalistes reprennent de plus belle. Prévus pour hier, deux procès, intentés par le ministère de la Défense nationale (MDN) contre Liberté et El Watan, ont été reportés au 4 octobre prochain. Le premier, celui de Liberté, porte sur une caricature réalisée par Dilem en 2002 à l'occasion de la commémoration de l'anniversaire de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf. Elle représentait un général en lunettes noires s'appuyant sur une canne et lisant le programme du défunt président : “Le 16 janvier, il sera à Alger, le 2 mars à Oran, le 29 juin à Annaba et le 30 à… El-Alia”. Le second procès, celui d'El Watan, a pour objet un article publié en page 24 et portant sur les agissements du gendre d'un général. En outre, trois journalistes du Soir d'Algérie se présenteront aujourd'hui devant le juge au tribunal de Sidi M'hamed, accusés de diffamation. Deux autres affaires de ce même journal, initialement prévues pour aujourd'hui, ont été reportées sine die. L'objet de ces deux affaires ? Deux articles signés par le chroniqueur attitré du Soir d'Algérie, Hakim Laâlam et le journaliste Kamel Amarni poursuivis pour offense au chef de l'Etat. Le directeur du groupe de presse, Er-rai El Aam, Ahmed Benaoum, a été de son côté arrêté hier à Oran et conduit à la prison de la ville. “Alors qu'il s'apprêtait à comparaître devant le juge près la cour d'Oran pour une accusation de diffamation intentée par le directeur de la santé (…), M. Benaoum a été arrêté dans les couloirs de la cour d'Oran”, est-il expliqué dans un communiqué rendu public hier par ce journal. Pendant ce temps, l'élan de solidarité, tant au niveau national qu'international, en faveur du directeur du Matin, Mohamed Benchicou, condamné pour deux années de prison ferme et du correspondant de Djelfa condamné pour sa part à deux mois de prison, exigeant leur libération, s'élargit de plus plus. Même le célèbre dessinateur français Poclain a tenu à ne pas être en marge de ce large mouvement de solidarité en adressant, hier, à la presse indépendante, un dessin allant dans ce sens. N. M. Dans une lettre de la prison Hafnaoui Ghoul écrit à sa fille Date : 24 juin. Expéditeur : Hafnaoui Ben Ameur Ghoul, matricule 8966. Destinataire : Soumeya Ben Ameur Ghoul. Objet : “Lettre de prison à mon enfant.” Déclinées à l'encre noire, dans une écriture dense, les phrases sont saccadées. Elles libèrent la voix du prisonnier. Son amertume, ses illusions, son dépit résonnent dans une longue confession à sa fille Soumeya. Son aînée lui a écrit sur les colonnes de Djazaïr News, il y a quelques jours, pour rompre sa solitude. Elle a choisi le journal à cause duquel, en partie, il a été envoyé derrière les barreaux. Hafnaoui lui répond. Depuis un mois, le journaliste et militant des droits de l'Homme croupit dans une cellule de la maison d'arrêt de Djelfa. Il résiste à l'usure du temps en gardant foi dans l'avenir. “J'écris à la Soumeya de demain afin qu'elle sache un jour pourquoi je suis en prison”, dit le père. Son crime tient dans cette plume indocile qui a déchiré le voile autour d'une ville livrée à la rapine. “Je connaissais les dangers que je courais au cœur d'un espace gangrené par la corruption et dirigé par des despotes”, reconnaît l'homme au stylo. Il savait que ses révélations lui seraient fatales, qu'il payerait cher son courage de dire. Mais il persiste. À la morgue de Bouteflika, il oppose l'humiliation du petit peuple. “Ajuste ton tarbouche ô père”, clamait le président-candidat, lors de ses meetings électoraux. “On fait baisser les pantalons des réprimés”, rectifie Hafnaoui. L'exclusion, le chômage, la hogra, l'analphabétisme… est le lot des laissés-pour-compte, martèle-il dans sa missive. Tant qu'il sera laissé en vie, le journaliste jure de prendre leur parti. Il en fait le serment à Soumeya, à laquelle il voulait un jour léguer sa plume, son héritage. Un jour peut-être… Aujourd'hui, sa vie en dépend. C'est son arme. La seule à sa disposition pour combattre les puissants. Condamné à une double peine de deux ans de prison ferme, le correspondant de presse a eu la fâcheuse de s'attaquer au wali de Djelfa et à sa cour. S. L.