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Le visage hideux d'Alger
LES CONSTRUCTIONS ANARCHIQUES GANGRÈNENT LA CAPITALE
Publié dans L'Expression le 29 - 07 - 2007

Sur la vingtaine de lotissements que compte Dar El Beida, une quinzaine est illégale.
En Algérie, pour certains, peu importe les règles de l'art, l'essentiel c'est d'habiter. Chez d'autres, peu importe le fait d'habiter, l' essentiel étant de construire le plus de locaux commerciaux possible. Avec le temps, le phénomène risque de se généraliser. Au diable les normes d'urbanisme! L'art? De quoi s'agit-il au juste? L'esthétique? Connaît pas. L'architecture? Ce ne sont là que des vieux discours assénés par on ne sait quel fantaisiste. Peu importe tout cela, il faut plutôt penser au fric. Apparemment, l'Algérien moderne, pour nombre d'entre eux, ce n'est pas plus sa virilité que la quantité de «pèse» dont il dispose qui le «pose». Pour mieux se rendre compte de cette nouvelle vérité sur le schéma urbanistique algérois, il suffit de faire un tour dans certains lotissements à la périphérie de la capitale. Là, le paysage qui s'offre à la vue est désolant.
A voir ces constructions édifiées depuis belle lurette, et qui n'ont pas été finies, l'oeil du visiteur retourne blessé, ulcéré, peiné. Ceci est le cas dans plusieurs lotissements à Alger. A El Hamiz, dans la circonscription de Dar El Beida, le paysage est plus affligeant que cela. Ceux qui empruntent la RN5 le savent pertinemment. Nul besoin de leur faire un dessin. Les façades donnant sur la grande rue sont conçues sans prendre en compte des normes architecturales. Le passager, habitué à emprunter ce périmètre, aura certainement détaché sa vue de toute la marchandise étalée à l'extérieur des magasins. L'oeil, averti ou non, peut s'élever pour apercevoir des murs, en brique, en finition indéterminée. Il suffit de peu pour qu'ils crient au dénuement, à l'injustice humaine.
Les étages, plutôt les «squelettes» d'étages, s'entassent les uns au-dessus des autres. La vue est la même, elle reste presque inchangée à mesure qu'on avance. Dans certains coins, des champignons ont complètement envahis les briques. Les murs ont noirci. Non de la suie, mais l'érosion des eaux de pluie. A ce point, les choses peuvent paraître plus ou moins réparables, mais là où elles atteignent le comble, c'est lorsqu'on voit des bâtisses, au 2e étage, dont la façade donnant sur la rue est clôturée par des rideaux de fer. Là, d'aucuns peuvent affirmer que l'entendement humain, normalement constitué, n'hésitera pas à condamner des pratiques pareilles. A croire qu'une main de la fameuse tribu des «Banou Hilal» est passée par là. Tant le panorama, si c'en est un, est des plus désolants.
Gros commerçants contre grain de poussière
Si par curiosité vous désirez voir de quoi est fait l'intérieur de ce lotissement, il vous suffit d'y pénétrer. Méfiez-vous. Avec ses chaussées cahoteuses, le danger ne cessera de guetter votre voiture. A pied, il est difficile de tenter le coup. En y pénétrant, soit vous y laisserez le talon de vos chaussures, soit les pneus de votre voiture. Quoi qu'il en soit, et sans pour autant aggraver le cas de la cité, il est bon, tout de même, d'y faire un tour. La voirie accidentée vous reçoit avec toutes les hostilités imaginables. Le lotissement est parcouru de ruelles qui s'enchevêtrent. La cité vous offre des dédales pareils à des équations que le meilleur mathématicien de la planète peinera à résoudre. Il vous faut un guide pour vous hasarder dans cette cité. De part et d'autre des ruelles, des locaux commerciaux, souvent luxueux, vous font face. Ils sont très bien achalandés. Riches sont ces commerçants. Ils étalent leurs marchandises à l'extérieur des magasins. Il y a de tout. De la literie, des produits ménagers, des magasins de l'habillement, de l'électroménager, même des matériaux de construction. De fait, c'est un «store» à l'américaine où vous pouvez faire vos emplettes de l'aiguille jusqu'au tracteur, si cela vous chante. Qui dit mieux. Mais le revers de la médaille, c'est toute cette bonne marchandise livrée à une poussière qui règne en maître des lieux. Les grains de poussière, aussi minuscules soient-ils, constituent une menace aux marchands de gros, que la malchance (?) a jeté dans ce coin. A voir ce spectacle désolant, il vient à l'esprit du visiteur cette interrogation pertinente: pourquoi ces commerçants préfèrent-ils le statu quo? Pourquoi ne demandent-ils pas le bitumage des routes?
«Allez donc demander cela à l'Etat», nous lance un commerçant que nous avons interpellé. «Ce n'est pas à moi de goudronner cette route, je n'en ai pas les moyens. Et puis, ce n'est pas mon affaire. Moi, je paie les impôts. Je voudrais bien savoir où va cet argent qu'on verse à l'Etat. Vous pouvez peut-être me le dire?». Visiblement sa bile a été provoquée. Notre interlocuteur parle des réseaux d'assainissement que les riverains avaient réalisés sans l'aide de l'Etat. «C'est de notre propre initiative que nous les avons réalisés» confie-il. «Nous avons fait ce qu'il fallait faire. Maintenant, c'est aux autorités de faire leur travail. Nous ne pouvons, tout de même pas nous substituer aux dirigeants de ce pays qui engrangent les liasses de l'argent du pétrole.» Mais ce bloc de 4 étages non fini, vous appartient. Il a fallu peut-être le terminer? lui avons-nous demandé. «Mais qu'est-ce que je vous raconte depuis tout à l'heure?». Notre interlocuteur ne lésine pas sur les mots. Il veut se faire comprendre. «Pour que je puisse achever mon bloc, comme vous l'appelez, il faut savoir que les services concernés doivent, de prime abord goudronner la route, sans quoi je ne peux rien faire.»
Mais apparemment, cet avis n'est pas partagé par les autorités concernées. Approché, le chef de service technique, chargé des travaux auprès de l'APC de Dar El Beïda se veut méthodique. Il n'aime, vraisemblablement, pas défier la logique. Pour lui, «toute chose en son temps. L'anarchie ne mène nulle part, au contraire, elle fait éclore une anarchie plus dangereuse que la précédente». Comment? Explication: «Pour viabiliser ces lotissements, il faut procéder par étape. Il faut tout d'abord achever les travaux d'assainissement». Néanmoins, au niveau de la commune de Dar El Beida, qui dispose de près d'une vingtaine de lotissements, il a fallu attendre l'achèvement des travaux du collecteur principal d'Oued Bakora. Celui-ci s'étend sur huit kilomètres.
Dar El Beida face à l'illicite
Les travaux ont été entamés en 2005. Le projet a coûté à l'APC la bagatelle de 25 milliards de centimes. «Viendront ensuite les travaux de raccordement en eau potable, puis le goudronnage». Pour les travaux d'AEP, ils ne sont pas encore achevés. Il est donc impossible, dans l'état actuel des choses, de procéder à un quelconque goudronnage des routes. Et, suivant le raisonnement du commerçant que nous avons cité plus haut, «il est impossible de finir les milliers de bâtisses» qu'on constate à travers la périphérie algéroise. Jusqu'ici, ce n'est qu'une observation. La surprise ne peut être que grande lorsqu'on apprend que 95% des bâtisses d'El Hamiz, et 85% des lotissements à Dar El Beida, sont des constructions illicites. On n'en revient pas. «Ce n'est qu'après le séisme du 21 mai 2003, ayant ébranlé la wilaya de Boumerdès ainsi que ses régions avoisinantes, qu'on a commencé à parler de ce problème», fait savoir Mme Bouakkaz, chef du service urbanisme à l'APC de Dar El Beida. La conclusion qu'on peut tirer de cette vérité, on ne peut plus brutale, est qu'aucune de ces constructions n'a été réalisée selon un plan établi par un architecte! Donc, aucune expertise ne peut être effectuée! Pis encore: «Ce n'est pas seulement qu'elles aient été réalisées sans plan, mais les propriétaires ne disposent d'aucun acte de propriété» explique Mme Bouakkaz.
Devant notre étonnement, elle poursuit: «Le seul papier dont ils disposent est celui de la décision d'affectation qui leur a été remise». Versant dans le détail, notre interlocutrice explique: «L'opération d'affectation a commencé en 1989. Elle s'est poursuivie, et en force, à l'époque des DEC (Délégations exécutives communales, Ndlr)». Il convient de rappeler, en ce sens, que les DEC ont été désignées, en 1992, par l'Etat, au lendemain de la dissolution de l'ex-FIS, pour gérer les communes qui étaient dirigées par les élus de l'ex-parti islamiste. En cinq ans d'existence, les DEC ont attribué quelque 5000 lots dans le quartier du Hamiz. L'opération que d'aucuns estiment catastrophique, n'a été stoppée qu'en 1997. Que de choses on peut faire en cinq ans. Que de projets on peut réaliser! Que d'affaires alléchantes on peut s'offrir, pourvu qu'on ait des «épaules» bien placées, et très bien calées. Si certains mettent du temps pour construire une petite, voire minuscule maisonnette, en Algérie, en un clin d'oeil, on peut ériger des cités entières. C'est ainsi que des champignons en béton poussent quotidiennement sur des terrains interdits à la construction. On édifie illicitement des semblants de villas, du jour au lendemain. En un tour de main. Parfois, il suffit d'une simple décision, pour que machines, ferraille, briques, ciment soient acheminés. Que l'on commencent à construire! Que l'on édifie des bâtisses! Que l'on fasse vite. Le temps presse. Les affaires aussi. Et le résultat ne peut être que celui-là: 5000 carcasses sont proposées à la vente, à Alger, par le biais des agences immobilières. Et ce qui rend les choses plus complexes que jamais, c'est que ces «constructeurs», ne disposent d'aucun acte de propriété! Toutefois, le problème est plus profond qu'on ne le pense. Cette affaire n'est pas seulement celle des carcasses illicites que du foncier. Et en l'absence d'un arsenal juridique régissant ce domaine, l'édification de ville entière sur des terrains non urbanisables est une opération qui risque de voir se pousser des tentacules.
Ce qu'il y a lieu de préciser, en outre, c'est que plusieurs lotissements, à l'instar de ceux d'El Hamiz, Dergana et d'autres, sont construits sur des zones agricoles non urbanisables. Les habitants ne disposent, de ce fait, d'aucun document légal. Et l'opération de régularisation n'est pas pour demain. En ce sens, une étude pilote de la restructuration des lotissements d'El Hamiz a été effectuée. Selon Mme Bouakkaz, le dossier est actuellement au niveau de la Direction de l'urbanisme, de la construction et de l'habitat (Duch). Ce dernier, qui devait être transmis aux services concernés auprès de la wilaya d'Algérie, est bloqué. Par ailleurs, la circonscription de Dar El Beïda n'est qu'un échantillon parmi tant d'autres. L'Algérie pullule de constructions illicites. Des carcasses au ventre vide. Des bâtisses construites anarchiquement. Qu'a-t-on à reprocher à l'esthétique? De quels maux accuse-t-on le beau? Mais apparemment, parler de ce volet, c'est aborder une autre question, celle relative à la «citadinité» de l'Algérien. En définitive, c'est toute une culture, c'est tout un art que de construire une maison aussi petite soit-elle, mais obéissant aux normes urbanistiques. Mais encore, faut-il que les services concernés des APC et des daïras prennent en compte cet aspect du problème.


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