Si pour fuir la canicule, les garçons se tournent vers la grande bleue, les filles n'ont pour échappatoire que la télévision ou, à la rigueur, le papotage entre amies. Quand le soleil darde ses rayons, que les ruelles et villages se transforment en un nuage de poussière, que les gosiers sont asséchés et que les robinets menacent de rendre l'âme, alors une idée et une seule habite les esprits: partir vers la grande bleue et espérer se rafraîchir quelque peu. A Tizi Ouzou plus qu'ailleurs, dans cette multitude de hameaux et de villages où l'ennui se coltine avec le vide sidéral en matière de loisirs, on ne sait plus que faire: attendre ou partir? Attendre la fraîcheur du soir quand le petit vent se lève et vous apporte les effluves marines de loin ou alors partir et essayer de goûter aux plaisirs de la mer? Dans quelques villages de Tizi Ouzou, il est désormais de coutume de voir les fourgons ou les microbus loués pour la journée emmener vers la côte les jeunes qui n'en peuvent plus de traîner dans les rues poussiéreuses ou encore user leur fond de culotte sur les pierres schisteuses des djemaâs. Les fourgons de transport de voyageurs qui, désormais, assurent un véritable service public, sont une véritable «manne» pour les villages. En saison active, ils assurent le transport des lycéens et des étudiants sans oublier celui des travailleurs qui, sans ces fourgons, éprouveraient bien des difficultés pour rejoindre leurs lieux de travail; et en été, de temps à autre, ils s'improvisent en navette entre les villages et la mer! Depuis Boumahni, Aït Yahia Moussa, les Ouadhias, Beni Douala et ailleurs, ces fourgons, véritable aubaine pour les jeunes villageois, assurent la liaison avec Tigzirt, Azzefoun, Boumerdès ou encore Béjaïa. Le temps d'une journée ou d'un week-end, ils font profiter ces exclus des joies de la mer! «Finalement, faire ce travail n'est nullement une question relevant de la seule activité commerciale mais ces jeunes, c'est avec eux que je travaille à longueur d'année. Il me semble qu'il est de mon devoir de faire quelque chose pour eux. Aller jusqu'à Boumerdès, attendre toute la journée pour les ramener le soir chez eux et pour cela les faire payer 100DA la place, c'est pratiquement donné! Cela couvre à peine les frais de gazole et mon repas, mais il faut bien que, de temps à autre, je leur fasse cette fleur!» soutient un propriétaire de fourgon. Et de conclure: «Vous savez, de Boumahni à Boumerdès, il y a environ 60km!» Du côté de Maâtkas, c'est le même scénario, les jeunes n'ont comme loisir que le ballon ou, pour les plus friqués, le rêve digital: en effet, le cybercafé de Souk El Khemis ne désemplit guère. Mais tout le monde n'est pas accro d'Internet, alors, pour fuir les villages vides et moroses surtout en ces journées caniculaires, l'on s'organise et, à plusieurs, on loue un microbus ou un fourgon, et vogue la galère! Les moins chanceuses sont les filles. Elles n'ont pour toute échappatoire que la télévision ou, à la rigueur, le papotage entre amies. Saliha explique que «finalement les filles sont vraiment en prison. Mes parents n'y sont pour rien. Mais ici, on ne sort que pour les travaux des champs ou chez les voisines. Mis à part les fêtes, c'est l'ennui au quotidien». Saliha est licenciée en sciences économiques et n'arrive pas à trouver un «job» comme elle l'appelle. Elle songe réellement à quitter le pays «qui n'arrive plus à nourrir ses jeunes!» Mais voilà, le visa, ce n'est pas facile. «Autrement, mon frère qui vit en Allemagne m'a invitée pour y vivre, il a une grande maison et a besoin de moi, ne serait-ce que pour garder son fils que je ne connais d'ailleurs pas!» Se taisant un moment, elle semble réfléchir et reprend: «Souvent, il me prend l'envie de me déguiser en garçon, rien que pour pouvoir moi aussi aller à la mer ne serait-ce que pour m'asseoir au bord de l'eau!» Dans ces hameaux et villages perdus se trouvent des jeunes gens très intéressants et aussi souvent diplômés, et hélas, chômeurs! Beaucoup d'entre eux ont, certes, trouvé le moyen d'aller ailleurs et certains ont réalisé le rêve d'une vie. Kaci, un jeune ingénieur en chimie, raconte son exil et celui de bien d'autres, généralement des diplômés qui n'ont plus rien à voir avec les émigrés des années 30!: «...Une maison, un emploi, une voiture et aussi la possibilité pour les plus chanceux d'approfondir leurs connaissances. Ceux qui sont restés disent regretter et traînent encore les pieds dans la poussière des villages.» Dire que tout cela peut être offert par le pays qui a besoin de ses jeunes, notamment de ses diplômés, mais voilà, certains comportements, obscurs, de quelques scribouillards parvenus ont fait fuir plus d'un et plonger les autres dans le désespoir!