La visite surprise, dimanche, du chef de la diplomatie française à Baghdad induit un certain infléchissement de Paris vis-à-vis de la question irakienne. Revirement de la politique française par rapport à la question controversée de la présence étrangère en Irak? Oui et non. Oui, si on prend en première lecture l'activisme du président Sarkozy vis-à-vis des Etats-Unis, force occupante en Irak; non, si l'on remet la politique irakienne de la France dans un contexte plus large qui embrasse l'ensemble du Moyen-Orient. Mais, il est patent que la visite du chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, à Baghdad - quelques jours après les vacances de la famille Nicolas Sarkozy aux Etats-Unis et la réception donnée à ce dernier par son homologue américain, George W.Bush, lors de laquelle les deux hommes ont évoqué le différend qui a opposé Paris et Washington lors de l'invasion par les armées américaines de l'Irak, en mars 2003 - a été ressentie comme une «bonne nouvelle» par la Maison-Blanche qui s'est félicité de l'infléchissement de la politique française pour ce qui est de la question irakienne, notamment. Toutefois, ce rapprochement entre Paris et Washington, ne signifie en rien, précisent des sources françaises, l'éventuel envoi de forces françaises (techniques, de soutiens ou autres) en Irak. Mais c'est sans doute pas ce que demandent les Américains enlisés dans un bourbier irakien qu'ils ont eux-mêmes créé, qui ont surtout besoin qu'on les aide à en sortir tout en sauvant la face. Isolés sur la question irakienne, d'une part, confrontés à la récurrence de la violence sous toutes ses formes et ne sachant comment rétablir la sécurité au pays des Raffidin d'autre part, les Etats-Unis avaient vraiment besoin de ce «coup de main» bienvenu de la part de la France de Sarkozy. D'ailleurs, la Maison-Blanche a immédiatement réagi se félicitant de la visite à Baghdad du chef de la diplomatie française comme l'indiquait l'un de ses porte-parole, Gordon Johndroe. «Les Etats-Unis se félicitent de la visite du ministre français des Affaires étrangères, Kouchner, à Baghdad», a ainsi déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche pour les questions de sécurité nationale, Gordon Johndroe, à Crawford (Texas, sud), où le président George W.Bush est en vacances dans son ranch. «C'est un exemple de plus, après le renforcement du mandat de la mission de l'ONU en Irak, les récentes conférences avec les voisins de l'Irak et la décision de l'Arabie Saoudite d'ouvrir une ambassade à Baghdad et d'annuler la dette de l'époque de Saddam (Hussein) de la volonté croissante de la communauté internationale d'aider l'Irak à devenir un Etat stable et sûr», a ajouté M.Johndroe. Revenus de leurs certitudes qu'ils pouvaient tout régenter dans le monde, les Etats-Unis, qui font profil bas, sont aujourd'hui heureux que d'autres parties interviennent dans un pays où ils ont créé le chaos. Aussi, la présence de Bernard Kouchner en Irak marque-t-elle une évolution d'approche de la question irakienne par les autorités françaises, après l'élection, en mai dernier, du président Sarkozy, qui a succédé à Jacques Chirac, lequel est resté ferme par rapport aux Etats-Unis qui ont déclenché les hostilités en Irak sans l'accord du Conseil de sécurité des Nations unies. De fait, Kouchner à Baghdad, à repris en filigrane le discours désormais professé par le président Bush ces derniers mois, selon lequel il appartient aux Irakiens de se prendre en charge et de trouver une solution par eux-mêmes. C'est ce qui ressort de la déclaration faite hier par le ministre français des Affaires étrangères qui plaide pour «une solution irakienne à la crise dans ce pays, et pour un rôle accru de l'ONU». M.Kouchner, premier haut responsable français à venir à Baghdad depuis l'invasion américaine de 2003, a assuré que Paris «voulait être utile», mais que «la solution était entre les mains des Irakiens eux-mêmes». «Ecouter les Irakiens, leur affirmer que la solution à leur problème doit être irakienne, écouter toutes les communautés, préserver la souveraineté, l'intégrité et la démocratie en Irak: pour la France, c'est essentiel», a déclaré hier le ministre français à l'issue d'une rencontre avec le président Jalal Talabani. «La violence à laquelle vous ne pouvez pas vous habituer, nous ne nous y habituons pas. Vue de loin, cette violence est horrible. Des innocents meurent tous les jours, des attentats aveugles frappent les populations quelles qu'elles soient, (...). C'est inacceptable», a-t-il encore dit. «La France est prête à participer à cette lutte contre la violence mais je n'ai pas de solution miracle. Notre volonté est d'être aux côtés de ce grand pays indispensable à l'équilibre et à la naissance de la démocratie dans cette région tellement importante», a poursuivi M.Kouchner. Il est ainsi venu semer la bonne parole chez les Irakiens, mais il faudra sans doute attendre les prochains développements pour voir jusqu'où ira le changement de la politique française par rapport au dossier irakien et jusqu'où ira le rapprochement entre Paris et Washington et si M.Sarkozy n'est pas tenté de prendre les habits d'un Tony Blair bis dans l'entourage du président américain. On n'en est pas là, certes, aussi patientons pour voir jusqu'où ira l'ouverture que préconise M.Sarkozy si cette ouverture va faire un sort à la traditionnelle politique arabe de la France.