Vu le contexte difficile dans lequel se tient la 59e session de la Commission des droits de l'homme, avec notamment la situation en Irak, notre ambassadeur à Genève, Mohamed-Salah Dembri, a bien voulu nous éclairer sur certaines questions relatives notamment aux droits de l'homme en Algérie, à la situation en Irak et au rôle que doit jouer l'ONU. LIBERTE : La présidence de la Commission des droits de l'homme revenue cette année à la Libye a été fortement décriée. Cela n'a-t-il pas perturbé les travaux de cette 59e session ? Mohamed Salah Dembri : Mme Najat Al-Hajjaji, ambassadeur de Libye auprès des Nations unies à Genève, a été élue, le 20 janvier 2002, à Genève, à la présidence de la Commission des droits de l'homme (CDH) des Nations unies, à la majorité des voix, à l'issue d'un vote demandé par les Etats-Unis, opposés à ce choix. La présidence de cette 59e session, a été fortement perturbée, car c'est la première fois qu'un pays demande un vote. Avant cela, les présidences étaient désignées par un consensus. S'agissant de cette 59e session, et selon une rotation géographique, c'est au tour de l'Afrique de présider cette commission. Le groupe a donc désigné la Libye pour assurer cette présidence. Ce vote a finalement conduit à l'isolement de trois pays : les Etats-Unis, le Canada et le Nicaragua qui ont voté contre. En outre, l'Union européenne qui est un groupe très important, s'est abstenue de voter. Logiquement, elle aurait dû soutenir l'Afrique dans son choix. Evidemment, cette demande de vote des Etats-Unis d'Amérique avait une portée politique, dans le sens où il n'y avait plus de système multilatéral, mais une prépondérance d'appréciation unilatérale sur des Etats. Pour la délégation algérienne, il apparaît clairement que la Commission des droits de l'Homme est un affrontement des conceptions politiques et non pas un lieu de promotion d'une culture commune. La FIDH a présenté à la commission un rapport virulent sur l'Algérie. Quelle est l'appréciation de ce rapport ? L'Algérie n'est plus sur le banc des accusés, aucun texte diffusé ou soutenu par des Etats ou par des ONG n'a cité l'Algérie, exception faite de la FIDH qui a déposé au point 9, relatif à la violation des droits de l'homme, un document d'une rare violence contre l'Algérie, fondé sur des allégations de la LADDH, qui met en accusation les institutions publiques, politiques et les forces de l'ordre sur des questions diverses. Comme document excessif, il ne résiste pas à l'analyse critique. J'ai eu à cet égard un entretien avec le président de la FIDH, le Sénégalais Sidki Kaba, en soutenant que parmi plus de 250 ONG, elle est la seule à maintenir dans sa ligne éditoriale, une telle hostilité à l'égard de l'Algérie. Bien entendu, M. Kaba a renvoyé la responsabilité à la seule LADDH de Ali Yahia Abdenour. Pensez-vous justement que l'Algérie peut construire un Etat de droit si elle n'arrive pas à régler le problème des disparus et celui de la Kabylie ? L'Algérie, comme un certain nombre de pays, est en train d'assurer une promotion véritablement forte d'une culture nationale de respect et de promotion des droits de l'homme. Ceci demande à être évalué sur des acquisitions qui ont été enregistrées à mesure de l'accomplissement démocratique pluraliste, politique et de la reconnaissance d'objectifs généraux inéluctables contenus dans la loi fondamentale. Il n'implique pas que les difficultés de la conjoncture, liées à des situations internes, soient une atteinte à ce corpus doctrinal qui apparaît pleinement dans l'action publique. La programmation politique établit notre législation actuelle. Pour revenir à l'actualité et à l'Irak, comment expliquez-vous le silence des Etats arabes devant l'arrogance de Bush et pensez-vous que ces Etats ont un projet d'implication dans la reconstruction de l'Irak ? Je livre là mon sentiment d'Arabe : La Ligue arabe et l'Organisation de la Conférence islamique doivent avoir un rôle à jouer. Il y a un besoin dans ces deux grands ensembles, besoin d'une “aggiornamento”, soit d'une mise à jour pour favoriser l'émergence de sociétés arabes pluralistes où l'information et la force du sens critique du citoyen seront la règle et /ou les valeurs archaïques récurrentes seraient répudiées au bénéfice de nos valeurs les plus libératrices dans une vision de conjonction à l'universalité. Après l'Afghanistan et l'Irak et dans les deux cas, Ben Laden et Saddam Hussein restent introuvables. Bush a fait allusion à la Syrie en disant que les armes de destruction massive de l'Irak ont été acheminées vers la Syrie. N'est-ce pas une autre idée de guerre qui trotte dans la tête de Bush ? Le problème qui se pose, si on se réfère aux déclarations que vous citez, voit apparaître des postulations pour une nouvelle géopolitique dans la région. De ce point de vue, il ne saurait y avoir d'indifférence arabe. Il faut, par conséquent, comme l'a souligné le président Bouteflika au sommet de la Ligue des Etats arabes, mettre désormais cette ligue, aussi vieille que l'ONU, devant la nécessité de sa propre réforme. Aujourd'hui, il faut porter plus d'attention à l'union du Maghreb arabe et c'est certainement un indice fort que veut donner le président Bouteflika dans sa volonté de construire dans notre région, en liaison avec les pays du Maghreb, une organisation politique unie avec des institutions solides et une économie prospère. En parlant de l'ONU, parviendra-t-elle à revenir sur le devant de la scène, ou devra-t-elle se contenter du rôle humanitaire que les USA lui concèdent de mauvaise grâce ? C'est l'un des enjeux actuels qui porte en lui le présent et l'avenir du système multilatéral. De ce fait, le seul cadre susceptible de traiter les problèmes internationaux reste pour nous, l'ONU. Cette dernière doit constamment, et conformément aux objectifs de la charte, avoir la primauté en matière de paix et de sécurité internationales, de règlement des différends et de promotion d'un monde de solidarité et de progrès collectif. A cet égard, il serait incompréhensible que l'on puisse astreindre l'ONU à un rôle d'organisation purement supplétive. Depuis le 11 septembre, le Conseil de sécurité a voté des résolutions dans le cadre de la lutte antiterroriste. Ne craignez-vous pas que cela ouvre la voie à Bush pour recomposer à sa guise le Moyen-Orient ? Le 11 septembre a pu apparaître comme un choc au monde entier. Pour nous Algériens, nous avions l'expérience du terrorisme international qui nous a affreusement affectés. Nous avons vu à cet effet, nous les Algériens, la nécessité de mobiliser l'ONU sur la lutte contre le terrorisme international qui doit toujours rester dans le cadre de l'ONU, car cela ne saurait donner naissance, ni à un monde unipolaire ni à la gestion de notre planète par une seule puissance quels que soient ses attributs. C'est dans le cadre d'un monde multilatéral que doit s'exercer cette action. Concernant la 59e session de la Commission des droits de l'homme, quel est votre sentiment ? L'impression qui prévaut de la 59e session des droits de l'homme, c'est que désormais il faut non seulement sortir du prisme étroit de l'accusation de certains pays d'une manière toujours et souvent légère, mais aussi mettre en harmonie, les principes acquis à la conférence de Vienne en 1994, à savoir que le droit au développement est un droit matriciel et que les droits civils et politiques sont liés aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce qui signifie que ces droits de l'homme sont universels, interdépendants et indivisibles. Cet esprit-là, dix ans après Vienne, est en train de s'imposer de façon majeure si l'on se réfère aux résolutions thématiques qui vont être proposées au vote lors de cette session. N. B.