En dépit de certaines privations dans la journée, le jeûne n'a jamais empêché les gens de faire du sport. Alors que le mois de Ramadhan tire à sa fin, les footballeurs algériens sont toujours sur le terrain à ahaner et à suer. Mois de jeûne ou pas, il faut continuer à s'entraîner et à jouer. Surtout pour les joueurs qui ont fait de ce sport leur métier. De toute manière, le Ramadhan n'a jamais empêché quelqu'un de faire des efforts physiques. Il est vrai que les capacités sont diminuées mais l'être humain a assez de ressources pour faire une activité sportive. Seulement là, il ne s'agit pas de sport du vendredi matin, celui des pratiquants aléatoires qui font du sport par plaisir et par souci de se maintenir en forme. Avec les footballeurs, nous avons affaire à des sportifs permanents dont l'activité physique ne saurait connaître d'arrêt. En dehors de la compétition officielle, ces derniers sont appelés, presque quotidiennement, à subir des séances de préparation et d'entraînement. Aussi, lorsque le mois de Ramadhan arrive, on se demande s'ils parviendront à tenir le rythme. Il n'y a pas à tergiverser, comme dans les autres secteurs, le football algérien connaît une brusque chute de «productivité» durant le mois sacré. Le drame chez nous est que, Ramadhan ou pas, le football est toujours très médiocre. Mais il s'agit là d'un autre sujet bien trop vaste pour en parler aujourd'hui. Ce qui nous intéresse c'est de savoir si la pratique du Ramadhan est en contradiction avec celle d'une activité sportive. La FIFA s'est penchée sur ce thème et c'est un médecin algérien, le Dr Yacine Zerguini, membre de la commission médicale de l'instance internationale et de celle de la CAF, qui en a fait un dossier dans lequel il ressort, selon lui, que le jeûne et la pratique du football sont compatibles. Pour le Dr Zerguini, «le rythme de vie et le rythme nutritionnel sont des éléments fondamentaux, si l'on tente de comprendre les effets du Ramadhan sur l'organisme des athlètes. En effet, la perturbation chronobiologique domine, avec, en particulier, une modification du rythme veille-sommeil et un changement du programme alimentaire. Le changement du programme diététique se fait tant dans le rythme que dans la nature même des aliments. Les athlètes acceptent mal les menus «sportifs» habituels en raison d'une tradition culinaire liée au Ramadhan, qui leur semble incontournable. Ils acceptent tout aussi mal les regroupements et autres «mises au vert» durant un mois considéré comme sacré. L'aspect psychologique complique donc le tableau». L'étude du médecin algérien indique que «au point de vue médical, la pratique du football durant le mois de Ramadhan nous interpelle sur de nombreux sujets. Hormis, peut-être, les problèmes de traumatologie et de la sphère cardio-respiratoire, tous les autres paramètres de l'environnement médical du football moderne sont concernés. Du point de vue énergétique et de l'équilibre hydro-électrolytique, il serait logique de penser que les capacités des acteurs du jeu seraient amoindries. L'hypoglycémie et la déshydratation, pour ne prendre que ces deux paramètres, seraient de mise. Que se passe-t-il du point de vue endocrinien et dans le domaine de la fonction rénale? Nous ne le savons que trop peu dans le cadre d'une intense dépense physique et du stress». La fetwa de Bezzaz Dans un pays musulman comme l'Algérie où il faut reconnaître que l'effort n'est pas tellement demandé durant le mois de Ramadhan, les footballeurs jeûnent tous, alors que dans d'autres pays, notamment ceux d'Europe, il arrive que des musulmans en viennent à ne pas faire le Ramadhan les jours de compétition, voire même pour une petite catégorie à ne pas le faire carrément. Cela dépend du tempérament des joueurs et de leur encadrement, notamment de leurs entraîneurs. Les deux Algériens du club français de Valenciennes, Djamel Belmadi et Yacine Bezzaz, jeûnent tous les deux mais le premier ne le fait pas le jour de compétition contrairement au second qui a obtenu une fetwa de l'imam du coin l'autorisant à ne pas jeûner lorsque son équipe joue en déplacement. Ce que n'accepte pas son entraîneur Antoine Kombouaré qui affirme que «la règle, à Valenciennes, c'est que pour jouer, il faut s'alimenter le jour du match». Dans un championnat plus huppé et dans le club le plus riche de la planète, le Malien Mahamadou Diarra entend, lui, respecter le mois du Ramadhan. «Nous sommes inquiets de savoir comment cette affaire (le Ramadhan) affecte Diarra. Nous respectons le fait que de nombreuses personnes partagent sa foi, et ce qui est important, c'est que nous continuions à améliorer la manière avec laquelle il est traité», a déclaré son entraîneur, l'Allemand Bernd Schuster. Diarra avait admis plus tôt cette année que son observance du Ramadhan en 2006 l'avait affaibli. C'est pendant cette période qu'il avait joué quelques-uns de ses plus mauvais matchs la saison dernière et il a reconnu qu'il lui avait fallu plusieurs semaines pour récupérer complètement. «Nous allons le ménager aux entraînements et nous allons diminuer leur intensité parce qu'il n'a pas la possibilité de manger après», a ajouté Schuster. «S'il ne travaille pas trop dur la semaine, alors il sera en forme pour le week-end (pour les matchs). Il a déjà dit qu'il se sentait mieux que l'année dernière et c'est important», a encore indiqué l'entraîneur du Real en précisant que le jeûne observé par Diarra n'aurait pas d'influence sur sa titularisation. Le Malien n'a pas les mêmes soucis que ses collègues d'Algérie. En effet, ces derniers jeûnent, fatigue ou pas, hypoglycémie ou pas, déshydratation ou pas, professionnalisme ou pas. «Depuis que je suis entraîneur de football, je n'ai jamais entendu un de mes joueurs me dire qu'il ne faisait pas le jeûne parce qu'il avait peur pour sa santé», nous a dit Mustapha Biskri, l'entraîneur de l'OM Ruisseau. Un problème de mentalité Diplômé de l'ISTS, Biskri est de ces entraîneurs qualifiés de scientifiques qui cherchent, donc, à connaître les effets du jeûne sur un organisme humain. «Je ne cesse de me documenter sur le sujet. Je veux connaître les avancées scientifiques dans ce domaine et les techniques qu'il convient d'adapter à sa méthode de travail», ajoute-t-il. Biskri admet que l'entraînement durant le mois sacré n'a rien à voir avec celui de la période normale. «Si on peut travailler la vitesse de réaction et la force explosive, il est recommandé d'éviter de faire de l'endurance, indique-t-il. En outre, si en temps normal la séance dure deux heures et plus, là on ne peut pas dépasser une heure et demie. Il ne faut pas oublier que les joueurs sont en état d'hypoglycémie et de déshydratation. Il ne peuvent pas boire et leur organisme en ressent les effets.» Il faut ajouter que les joueurs ne jouent pas leur rôle convenablement. «Aux entraînements, j'ai toujours affaire à des joueurs qui viennent avec une mine défraîchie et les yeux enflés de celui qui n'a pas dormi du fait qu'il a veillé, note Biskri. C'est un problème national et de mentalité. Nos joueurs ne sont certainement pas assez professionnels. Nous n'allons tout de même pas mettre un gardien derrière chacun pour les surveiller. La seule fois où ils sont sérieux, c'est lorsqu'ils sont en regroupement la veille d'un match.» Selon l'entraîneur de l'OMR, il est nécessaire que les stades soient dotés de projecteurs. «Le problème du Ramadhan dans le sport ne se posera plus quand on pourra s'entraîner et jouer en soirée après la rupture du jeûne. En tout cas, à l'OMR, nous allons entamer les séances du soir dès cette semaine.» Une rupture du jeûne qui devra être assez légère surtout s'il y a un match à disputer par la suite. «Il faut manger mais pas se goinfrer, indique Biskri. Tout n'est que question d'équilibre diététique où les sucres lents ont un rôle essentiel. Et puis après l'effort, le match ou l'entraînement, les joueurs doivent, de nouveau, s'alimenter.» Cependant s'il recommande de jouer en soirée, l'entraîneur de l'OMR affirme que le rendement du joueur reste diminué car dans la journée il n'a pas un équilibre diététique requis. En ce qui concerne la rupture du jeûne, là aussi, Biskri fait remarquer qu'il est difficile de surveiller les joueurs. «La plupart du temps ils sont à table en famille, et c'est à eux de faire attention à ce qu'ils mangent.» Les joueurs dont la famille n'habite pas Alger sont dans le même cas. «Ils sont tous les soirs invités par leurs camarades ou par des dirigeants des clubs. Ils retrouvent, en quelque sorte, un second foyer avec toutes les bonnes choses à manger. Difficile de croire qu'ils peuvent s'en priver», nous dira Biskri en guise de conclusion.