«Le cinéma est avant tout une ouverture sur le monde. On ne peut prétendre à l'universel sans la préservation de son authenticité algérienne», dira Lakhdar Hamina. C'est hélas devant un parterre quasiment vide qu'a eu lieu, mardi soir, la projection en avant-première du documentaire Paroles de cinéastes arabes du réalisateur Abderahim Alloui. Entrant dans le cadre de «Alger, capitale de la culture arabe», cette projection a paradoxalement été rehaussée par la présence de nos voisins arabes, nonobstant la présence de Zhira Yahi, la conseillère de Mme la ministre de la Culture. Paroles de cinéastes arabes se veut, selon son réalisateur qui a pris le soin de rédiger un mot spécialement pour la circonstance en arabe, «soulever une problématique toujours actuelle entourant le cinéma dans le monde arabe». Il se veut aussi un hommage à deux figures du cinéma, disparues aujourd'hui, à savoir l'acteur égyptien Ahmed Zaki et le regretté Ahmed Ayad (Rouiched), acteur algérien, lauréat des Journées cinématographiques de Carthage. Ce film-documentaire reproduit ainsi des témoignages et images prises il y a quinze ans par le réalisateur à l'occasion de l'édition de 1992, mettant en relief les opinions de quelques figures connues du cinéma sur la situation de cet art dans le monde arabe, avec comme pilier, fil conducteur ou «personnage principal», feu Ahmed Zaki. Pour ce dernier, le cinéma doit refléter la réalité de la société dans laquelle on vit. «Il doit exprimer ses changements et bouleversements dans le temps, c'est pourquoi un comédien ne peut jamais dire qu'il a réussi dans sa carrière, mais a bien fait son métier.» Et avec des images du film Ded El houkouma de feu Atef Tayeb, à l'appui, Ahmed Zaki, altier et la cigarette ne le quittant pas à la main soulignant: «Si on parle de chômage en Egypte et on analyse ce fléau partant de ses causes jusqu'à ses effets, on se rend compte qu'on a abordé un sujet hautement politique. Tout est donc question de politique dans le cinéma. (...) Et c'est en mesurant le degré de réalisme dans ses films qu'on parvient à mesurer l' échelle démocratique exacte de sa société». De là, on passe à Nabiha Lotfi, qui, les larmes aux yeux, saluera le courage et l'audace du cinéaste Malek Hamina qui réalisa un brûlot grâce à son film Autonome Octobre 88, interdit jusqu'à présent en Algérie. Abordant la question identitaire dans le cinéma, Rachid Bouchareb, l'auteur de Cheb et le désormais célèbre Indigènes après sa consécration à Cannes l'an dernier, fera remarquer les problèmes particuliers des cinéastes maghrébins issus de l'émigration et leurs préoccupations quant à leur éventuel rejet dans leur pays à cause de la complexité identitaire qui les caractérise et leur large vision qu'ils ont du monde, car possédant une double culture. Pour lui, il est encore trop tôt pour émettre un jugement sur le cinéma algérien car tout simplement il n'existe pas. «A l'heure actuelle, on ne peut parler de défauts dans le cinéma arabe. Il faut qu'il y ait, par contre, plus de productions cinématographiques pour prétendre à une quelconque critique...» Le coeur gros et débordant comme toujours, c'est un Mohamed-Lakhdar Hamina impétueux qui est aussi interviewé par Fatima Belhadj qui a assuré tous les interviews. L'auteur de Chroniques des années de braise (Palme d'or à Cannes en 1975) fera remarquer que «le cinéma est, avant tout, une ouverture sur le monde. On ne peut prétendre à l'universel sans la préservation de son authenticité algérienne». Ceci pour dénoncer les innombrables coproductions avec les étrangers qui dénaturent la trame d'un film en raison du manque de financement en Algérie. Le cinéaste palestinien Omar Samar a, pour sa part, évoqué l'expérience du cinéma palestinien naissant et ses particularités, en tant que cinéma de combat, ainsi que ses spécificités inhérentes à sa naissance en exil. De son côté, le réalisateur tunisien, Nouri Bouzid, a tenté d'expliquer les raisons du déclin du cinéma arabe, à partir des années 70, en liant ce constat à la victoire militaire contre l'armée israélienne en octobre 1973. Pour lui, le cinéma arabe et le cinéma égyptien, en particulier, ont connu un âge d'or à travers des oeuvres qui cherchaient à expliquer les raisons de la défaite des Arabes face au sionisme. Pour Nouri Bouzid, le vrai cinéma est celui qui touche et laisse des empreintes. «Un film doit émouvoir et déstabiliser la personne...» Pour sa part, Hani Sourour qui brossera un tableau de la situation du cinéma au Liban, dira qu' «à l'époque où l'industrie cinématographique était florissante, le film libanais était davantage influencé par l' Egypte et ne reflétait pas beaucoup ses préoccupations». «Aujourd'hui que le cinéma manque, il marche plus, car on aborde des sujets graves liés à son vécu...» Monté en 30 jours, ce film documentaire a valu à son réalisateur une lecture ou visionnage de 28 cassettes de 30 minutes pour arriver à ce résultat plutôt moyen. En dépit de la pertinence du sujet traité, Paroles de cinéastes arabes nous laisse sur notre faim. Le film tiré en longueur est pourtant loin d'être exhaustif tant il reste encore à débattre autour du cinéma en Algérie. Un sujet inépuisable qui mérite en effet, aujourd'hui encore (15 ans après), d'être épluché sérieusement par les hautes sphères concernées. On se souvient que la ministre de la Culture avait promis, l'année dernière, la réouverture de plusieurs salles de cinéma. Depuis, plus rien...