Des théologiens égyptiens et saoudiens ont approché l'essentiel des dirigeants des groupes armés algériens. Le colloque international qui clôture, aujourd'hui, à Alger, ses travaux sur le «Rapprochement entre les écoles théologiques» dans le monde arabo-musulman, aura au moins servi à quelque chose de très intéressant sur le plan intellectuel: un vrai débat sur les actions islamistes fondamentalistes a réellement eu lieu entre les référents doctrinaux et les chefs des mouvements radicaux. Mieux, le débat s'est transposé au coeur même des groupes armés depuis quelques mois. Il y avait là, à quelques référents près, et pendant trois jours, toutes les sommités de la réflexion islamiste contemporaine: Ouahba Zouheïli, Mohamed Saïd Ramadan El-Bouti, Aït Allah Taskhiri, Abdelghani Mahmoud, Fethi Othmane, etc. Le rejet de la violence et du fanatisme a été à l'ordre du jour et le terrorisme au nom de l'Islam a été unanimement condamné. Mais comment diable les mouvements réactionnaires ont pu tomber entre les mains de chefs aussi peu avisés de la théologie musulmane et du droit canonique? La question méritait le détour du côté de certains théologiens, qui avaient, à l'instar de El-Bouti et de Zouheïli, et en son temps, instauré un véritable débat de fond avec les chefs fondamentalistes. «On ne peut pas discuter sur une même onde intellectuelle avec des ‘‘demi-érudits'', ni avec des gens qui, ayant parcouru des opuscules en théologie médiévale, croient maîtriser la jurisprudence musulmane. Il faut réellement replacer chaque fetwa dans son contexte, dans son temps, dans ses attaches, la lier aux ‘‘buts suprêmes'' (maqâcid echariâ) pour en saisir toutes les nuances nécessaires à son application», dira Ouahba Zouheïli, une des plus grandes sommités en matière d'islamisme et de critique des mouvements radicaux qui s'en réclament. Comment ce débat avec les chefs des groupes extrémistes a-t-il eu lieu? Certains érudits égyptiens et saoudiens nous ont parlé en aparté d'épisodiques échanges épistolaires entre les référents musulmans en théologie (fikh, hadith, usûl, chariâ, etc.) et les plus extrémistes des chefs armés. Il y a aussi les opuscules publiés (rasâïl) depuis une dizaine d'années, portant sur l'illégitimité du djihad contre la société musulmane, ainsi que son illégitimité contre les gouverneurs et régimes de la ouma arabe. Selon un autre participant du Yémen, il y a eu, en 1998, une réunion qui s'est tenue en Egypte et qui a regroupé des érudits musulmans, et mis en confrontation pro et anti-djihadistes. La réunion a duré deux jours, et étaient riches en débats, en joutes passionnées et critiques appuyées. Les deux jours de débats théologico-politiques ont été enregistrés sur huit cassettes audio et vidéo, mais leur diffusion le fut dans un cercle très restreint et donc, malheureusement sans influence sur les grandes foules. Dans une déclaration faite à notre journal, Ouahba Zouheïli affirme que des messages explicites et prolixes et des textes rédigés ont été envoyés aussi bien aux chefs des groupes armés qu'à leurs référents doctrinaux, mais que ceux-ci, imprégnés d'une tendance extrémiste et radicale, n'ont jamais voulu entendre raison. Zouheïli répondait en fait à une question relative au peu d'influence qu'ont eu les grands faqihs musulmans sur les mouvements radicaux. On se souvient de la lettre envoyée par Mohamed Saïd Ramadan El-Bouti aux tenants de l'«aile djihadiste», du GIA, en Algérie, et qui n'a jamais trouvé d'écho. En revanche, les échanges épistolaires entre cette organisation et des référents fondamentalistes pro-djihadistes, tels Ayman Ezzawahiri, (qui entretenait des relations serrées avec Gouami, l'émir du GIA au début de l'année 1994), Oussama Ben Laden ou Abou Qotada El-Falastini, ont eu de larges diffusions et des échos au sein de la mouvance radicale armée. Que le débat s'engage au coeur même des groupes armés, voilà qui augure d'une prise de conscience tout à fait nouvelle. La contestation politique au nom de l'islamisme n'a jamais eu d'essence religieuse profonde. Souvent développée au détriment d'un véritable renouveau spirituel, cette contestation théologico-politique a été, en fait, une réponse à l'agression et à la civilisation occidentales, un discrédit à leur hégémonie, une sorte de contorsion d'un mouvement extrémiste qui s'est senti endolori par une modernité qui s'est faite en dehors de ses dogmes.