Même le colonel Godart s'est invité à ce «flux» de souvenirs. Un témoignage poignant, alterné d'anecdotes. Des «escales» d'une époque héroïque que Yacef Saâdi raconte, non sans émotion. Il égrène des souvenirs, marque une halte pour se remémorer d'autres. Ses compagnons, ses premiers pas dans la résistance, ses affinités avec les Ben M'hidi, Abane, Ouamrane...H'didouche et Bouzrina nous sont présentés tel un chapelet. Pas le moindre détail n'est omis. Il raconte avoir mis ses économies, 700.000 francs, au service de la résistance, recruté des intellectuels et tissé des relations avec des «beznassi». Même le colonel Godart s'est invité à ce «flux» de souvenirs. C'est ce dernier qui s'était chargé de l'interroger, après son arrestation par les paras de Massu. Un ennemi, qui l'avait, témoigne-t-il, «traité avec le respect dû à un prisonnier de guerre». Quant aux rumeurs faisant état d'une prétendue rencontre avec le général Marcel Bigeard, il apporte un démenti catégorique. Il en relate les circonstances. «Effectivement, Bigeard m'avait appelé en 2004, alors que je venais de subir une intervention chirurgicale à Paris. Nous étions sollicités dans le cadre d'un reportage sur la Guerre d'Algérie que préparait la chaîne France2. C'est d'ailleurs le journaliste qui lui avait remis mon numéro de téléphone, à sa demande». Et Saâdi d'ajouter: «Je ne l'ai à aucun moment rencontré.» Quelle était la teneur de la discussion? Saâdi révèle: «Bigeard m'avait demandé s'il pouvait venir en Algérie.» Yacef du tac au tac répond: «Monsieur le ministre, vous étiez venu une fois, c'est suffisant.» Autre anecdote et non des moindres. Saâdi n'oubliera pas cet acte héroïque de son neveu «Petit Omar» qui avait permis de desserrer l'étau sur ses compagnons bloqués dans une cache à la Casbah. Il a usé de diversion pour détourner l'attention des militaires sur les lieux où s'étaient cachés ses compagnons. L'astuce était de remettre un message à la soeur de Yacef qui habitait chez les Bouhired, la «Douira» d'en face. Ayant pris connaissance du message, les paras ont poursuivi l'enfant, qui essuie une salve de coups de feu. Il en sort indemne. L'action de Petit Omar avait permis à son groupe de vider les lieux. Son voyage à Maghnia pour rencontrer Ben M'hidi, il le raconte avec nostalgie: «Je devais récupérer un message. Et pour échapper à la vigilance de l'ennemi, j'ai simulé le rôle d'un malade guindé dans une tenue d'aristocrate alors qu'en réalité j'avais entre les mains une canne ou était dissimulé le message de Larbi que je devais transmettre à ses frères de combat.» A la question de savoir quelle était son impression sur la polémique autour de l'exécution du chahid Ben M'hidi, notre invité se rappelles cette phrase du héros: «Un jour il m'avait dit, j'aimerais mettre à l'épreuve cette misérable chair pour savoir pourquoi les hommes parlent sous la torture.» Il enchaînera, ensuite que, contrairement à la version du «charognard» Aussaresses, «Ben M'hidi ne s'est pas suicidé, mais a été exécuté au Polygone, situé au Caroubier». Pour preuve, le beau-frère du chahid pourrait témoigner. «Le jour de la réinhumation de sa dépouille, au cimetière d'El Alia, le thorax de Ben M'hidi était criblé de balles.» Nous retiendrons également cette réflexion de l'architecte du Congrès de la Soummam, Abane Ramdane, qui lui avait dit que «si à l'avenir tu devais déposer une bombe, il faudrait nous avertir». Cette remarque a été faite par Abane Ramdane à Yacef Saâdi, au milieu des années 50, suite à l'explosion d'une bombe à côté de la maison qui abritait Abane à la Rue Didouche-Mourad. Et à Yacef de rétorquer: «Il faut éviter d'être là au moment de l'explosion.» Rires des journalistes de l'Expression, qui avaient découvert un fin sens de l'humour chez notre invité.